jeudi 1 décembre 2016

Camerimage review about two short documentaries

Article initialement publié sur le site du Film and Digital Times magazine, grâce à l'aide de Jon Fauer

A simple idea refreshed in Camerimage 2016
Who is making the choice of seeing?

Reflection around two short documentaries : Unseen : the lives of looking (director and cinematographer Dryden Goodwyn, UK) and How to destroy the time machines (director Jacek Piotr Bławut, cinematographer Adam Palenta, Poland)

Bydgoszcz, Poland, Camerimage festival. The marvelous international festival dedicated to the art of cinematography. This is all about Directors of Photography, and even more when you look at the documentary program, where most cinematographers are also directors. What they offer you too see is almost literally their own vision of the world. In those cases, the communication with the viewer, the mise en scène, is almost entirely contained in the cinematography : framing, angle, focal lengths, movements… According to me, it is one of the main interest of documentaries : how do these directors see the world and how do they manage to communicate it through the cinema screen.


How do other people see the world? How does it affects them ? And how do they communicate it ? The quest of Unseen : the lives of looking director Dryden Goodwyn is to explore this enigma. Dryden Goodwyn reached three people whose look is oriented very differently, which makes each of them differently conscious of their place in the world.


The first character, an eye-surgeon, is looking to the world in great details, very deep into the infinitely little, through a microscope. The second character is an astronomer studying the surface of Mars, another planet millions of miles away. He is focused on the cosmos and the infinitely wide. He explores a very precise 3D map of Mars which he builds thanks to photos taken by the Curiosity rover. It becomes his everyday landscape so much that he sometimes forgot that it is a complete other planet. The third part of the movie focuses on a London lawyer who is looking at our society, that is to say « the surface » of the world, as Dryden Goodwyn explained it in the Q&A session after the screening. This last character analysis of the world depends on how we have come to organize it, our rules, laws and institutions. 

Step by step, the portraits of these three characters reveal the main statement of this short movie : everything we see and think is mediated through something, microscope, photography, institutions or lens, camera, screen. The director doesn’t forget indeed to highlight his own mediation, firstly through his drawings, but also through his cinematography. In the beginning, even though his main focus is on his own drawings, that is to say his own interpretation of what he sees, he also fulfills our illusory need to see its subjects without his mediation. That’s why he edits alternatively his drawing and the filmed portrait of his model.
But the more the film evolves, the less Dryden Goodwyn leaves us the illusion of this « direct », unmediated point of view. Still, fulfilling our curiosity, he tilts from his paper to his model, but very briefly and always out of focus. This blurring means everything : the choice to see does not belong to the viewer. What prevails is the director's choice of showing.


In How to destroy the time machines, by director Jacek Piotr Bławut and cinematographer Adam Palenta, the use of blurring is also a cinematographic choice that enhance the meaning of the movie. The very narrow depth of field is relevant to illustrate the finesse and accuracy of the sounds Jeph Jerman, the main and only character, listens to and records. 
But it is also the choice of not seeing accurately the context, the whole action. The camera seems to wait for its subject (the moving hand, the turning rocks) to enter into the tight focus field. The focus is fixed and then left to luck, as if “destiny” had to choose what is relevant to see or not to see. The blurring becomes a new way of framing. The cinematographer does not always choose the obvious center of attention, and sometimes steps aside the whole subject to just seize a short glimpse of it. It reminds the viewer that what we focus on is a part of a whole which can never be photographed entirely. Every frame is an on-the-spot choice of a characterized cinematographer.












This is the main lesson told, repeated and renewed at every screening in Camerimage: each cinematographer has his own way to shoot, and that's what we're here to see. And into a frame, the attention is traditionally directed towards the focus point, but sometimes, the imagination flourishes in the blurring. I guess that’s why my Polish host told me about a photography of a blurred girl in the middle of a dance stage he took : « It is my kind of creativity. »


Axelle Coquelet
Second year Cinematography student in La CinéFabrique, french cinema school in Lyon
Graciously invited in Camerimage by Transvideo, Aaton and K5600



dimanche 24 juillet 2016

Ce sentiment de l'été, de Mikhaël Hers

Ce film m'a été conseillé en toute discrétion, par quelqu'un avec qui je ne suis jamais allée au cinéma. J'étais donc d'autant plus curieuse de voir ce qui pouvait me correspondre dans ce film. Et en effet, c'est une découverte très mémorable qui va marquer, je n'en doute pas, mon année de cinéma. 

 
« Au milieu de l'été, Sasha, 30 ans, décède soudainement. Alors qu'ils se connaissent peu, son compagnon Lawrence et sa sœur Zoé se rapprochent. Ils partagent comme ils peuvent la peine et le poids de l'absence, entre Berlin, Paris et New York. Trois étés, trois villes, le temps de leur retour à la lumière, portés par le souvenir de celle qu'ils ont aimée. »

Au départ, je suis allée voir le film qu'on m'avait conseillé, mais surtout, je suis allée voir Anders Danielsen Lie. Découvert en France avec le magnifique film de Joachim Trier Oslo, 31 août, cet acteur a une aura de simplicité toute norvégienne. Si ce n'était pas déjà le cas, je suis tombée définitivement amoureuse de lui devant Ce Sentiment de l'été: sa présence à l'écran est extrêmement généreuse; il incarne le personnage comme une personne, un être souffrant parfois mais avant tout juste vivant. Ses mouvements sont très simples, ses regards sont très justes et ses paroles sont dites avec une simplicité qui fait pourtant transpirer beaucoup d'émotion. Tout ceci émane d'une vraie générosité, offerte sans artifice aux spectateurs, et, filmé avec amour, on a envie de le regarder avec amour, voyant des sentiments aussi complexes incarnés avec autant de sobriété.


Dès les premières images, on remarque le grain de la pellicule, la lumière abondante de l'été et les couleurs presque criardes qui font ressortir les matières: le bleu du ciel, le vert de la pelouse, le jaune d'un pull, le bleu d'une robe, le jaune du métro et le rouge des pompes à eau. L'image, bizarrement, me rappelle les années 90 ou un temps d'avant que je n'ai en fait jamais connu; cela donne un agréable sentiment d'intimité, et en même temps quelque chose d'intemporel... En ressort une impression du quotidien, le notre, plein de gens qu'on a pu connaître ou plein de films qu'on a pu voir.
« Chercher à dessiner ce réel mouvant et énigmatique qui échappe sans cesse, où l’incongru, le drolatique ou bien le pire peuvent surgir à tout instant. Ces fragments de réalité, ces bribes de vies qui nous parviennent sans que l’on puisse en saisir le sens et dont il ne restera que quelques souvenirs, quelques traces. Pas le deuil donc, mais la vie, tout le temps faite de choses ambivalentes et complexes et lumineuses aussi, même parfois dans les instants les plus sombres.  »

Cette intimité, elle vient aussi des cadres, toujours choisi avec justesse, car avec simplicité. La distance avec les personnages est progressivement abolie. Chaque séquence les découvre avec amour, tout en racontant aussi la ville dans laquelle ils évoluent. On voit très bien que le réalisateur connaît les endroits qu'il filme, qu'il les aime, à tel point qu'on peut parfois avoir l'impression d'un carnet de voyage. C'est à partir de ces villes qu'il a créé ses personnages: ces lieux sont habités, ils sont vivants, et ce ne sont pas des prétextes ou de simples décors. Même la musique leur est familière, habite les rues et résonne avec familiarité. Tout dans ce film émane la justesse et la délicatesse; c'est avec délicatesse qu'on se sent proche du film dans son ensemble.


C'est dans cet écrin de dentelle que Mikhaël Hers nous parle de sentiments - ou plutôt nous en insuffle les frissons. Les émotions de Lawrence et de Zoé, autour du deuil et de l'affection, sont complexes, mais on ne cherche pas à nous les montrer dans leur complexité. Au contraire, c'est avec simplicité qu'on les comprend, qu'on les ressent à travers une douce subtilité ; et pourtant on en décerne les enjeux, et on y est confronté presque avec les personnages. J'ai envie de les suivre, de les aider, j'ai envie qu'ils les surpassent.
L'intérêt de la structure éclatée du film, en trois lieux, trois étés permet de se focaliser non pas sur un seul personnage mais sur les deux protagonistes d'une relation qui existe en pointillés. Ainsi, on comprend à quel point ces deux personnages vivent les mêmes difficultés à dépasser le deuil. Ils essayent tous les deux, à leur manière, de retrouver et de se séparer de Sasha, dans tous les paradoxes que cela représente. 
Mais heureusement, pas de poésie niaise, pas de bien-pensance, pas de happy end. Ce qui importe, c'est la bienveillance envers le ressenti de ces deux personnages et la délicatesse dans la façon de les aborder. J'y ai vu cette solitude qui nous caractérise tous, malgré l'amour et l'importance que l'on porte à nos amis... Le besoin de soutien que l'on ne retrouve peut être que dans l'amour, lui-même si difficile à saisir et jamais accompli... Ce que j'ai cru comprendre, c'est ce lâcher prise auquel on s'adonne dans l'amour comme le seul remède (provisoire ?) à cette solitude. 

Mr Robot (saison 1)

Séries Mania / 15/04/24/04/16 / Paris


Quelle est la forme de politique possible
sur les écrans télévisés ?

D'après :

MR ROBOT (2 x 60min)
[Série américaine diffusée sur USA Network en 2015]
[Sélectionnée en compétition du festival Séries Mania 2016]
Elliot Alderson, un ingénieur cyber-sécurité de jour et un hacker justicier de nuit, est recruté par un mystérieux groupe clandestin pour détruire l'entreprise qui l'emploie. Elliot doit décider jusqu'où il ira pour exposer les forces qui dirigent (et ruinent) le monde.

Et : 
« MR ROBOT : une série anticapitaliste ? »
Conférence de Xavier De La Porte

(!) SPOILER



                     La promotion de Mr Robot,  adressée notamment au public du site internet gaming Twitch et du festival de médias interactifs SXSW, prédestinait la série à un public ciblé « geek », mais son succès public et critique a dépassé ces attentes : 1,75 million de téléspectateurs lors de la diffusion du pilote et un succès critique aux États-Unis comme en France. De fait, le pari de mettre en scène à la télévision un hacker semble difficile, mais est gagné haut la main par le show runner Sam Esmail. 
Au début du premier épisode, la première séquence de hack annonce immédiatement les enjeux et les partis pris de la série quant à son personnage. Si Elliot Alderson est fixé derrière son ordinateur, la mise en scène instaure la dynamique de sa pensée grâce à une voix-off captivante, et représente lnternet comme une réalité derrière la réalité, un réseau complexe pas si caché que cela pour un hacker surdoué comme Elliot. Ainsi, la séquence nous révèle l'atmosphère dans laquelle vit le personnage, mais aussi son intimité et ses convictions profondes grâce à la proximité qu'offre la voix off. Elliot évoque le 1 % des puissants qui dirigent le monde, la vacuité d'un système fondé sur cette minorité insaisissable et la dette qu'ils entretiennent, rappelant les discours politiques du groupe « Occupy Wall Street » ou des Anonymous. Pourtant, on nous le présente également comme un employé talentueux et sérieux dans une multinationale qu'il appelle lui-même « Evil Corp ». Ce personnage ambigu, à la fois fataliste et révolutionnaire, fait écho à la situation à laquelle beaucoup d'idéalistes se résignent : faire partie du système honni pour le combattre à son échelle, de l'intérieur.


Le système qu'Anderson accuse est incarné par une entité, la multinationale E Corp, que combat le groupe de hackers « Fsociety », qui dénonce « une société corrompue par l'argent ». Mais ces deux organismes et ce qu'ils représentent laissent un flou dans le discours politique de la série. La révolution est pensée d'après la problématique de la dette, qui, réglée, assainirait la société ; mais on ne pose pas la question de savoir qui de l'argent ou du système sociétal lui-même est en cause de son dysfonctionnement.
Ainsi, le dénouement de la première saison offre une révolution vague, qui semble inaboutie. La dette est évacuée mais la société semble rester la même. Représentée par une masse informe de milliers d'individus anonymes, l'action révolutionnaire semble se limiter à un effet de masse, ou à une folie du personnage, puisqu'Elliot se révèle peu à peu schizophrène. D'une part, cela décrédibilise l'élan héroïque et courageux du personnage : ses dilemmes moraux sont par là réduits à des problèmes individuels, détachés des contraintes du monde extérieur auxquelles Elliot avait justement du mal à se confronter. Faisant face à ses propres coercitions, son libre-arbitre est discrédité. La promesse politique de la série semble donc s'essouffler au fil de la saison en s'attardant sur la dimension psychologique du personnage. D'autre part, la représentation de la révolution est elle aussi évacuée, comme un grand finale spectaculaire, mais pas si joyeux que cela. Il s'agit uniquement d'un grand mouvement de foule, d'une agitation rageuse des « 99 % », sans être visiblement une prise de conscience collective. Les publicités continuent de défiler derrière la foule et les masques, tous semblables, qui cachent les visages sont un signe de cet aveuglement individuel, de la confiance irréfléchie en la puissance de la majorité. Faudrait-il conclure que Mr Robot nous propose de passer de la loi du plus fort à la tyrannie de la majorité ?

En réalité, la série ne propose pas vraiment de modèle alternatif au système qu'elle dénonce. Elle convoque la révolution sans montrer effectivement le moyen de la mener, et sans donner d'alternative à la société. Si cela peut être un reproche à l'égard de la série, comme le formule Xavier De La Porte, il faut toutefois se demander si c'est réellement le dessein du programme. 
Mr Robot se contente en fait d'être une impulsion, une modeste sonnette d'alarme, mais elle ne pousse pas à l'action. Elle a le mérite de mettre le spectateur face à des dilemmes cruciaux : jusqu'où faut-il aller pour la Révolution ? Qui suivre au nom de ses convictions ? Quelle est la responsabilité individuelle dans nos engagements ? Quels pouvoirs invoquer pour agir effectivement ? Mais la série ne résout pas ces interrogations ; elle permet seulement au spectateur engagé de penser l'action qu'il est prêt à mener. De là se pose la question du public ciblé : s'adresse-t-on à une communauté « geek » comme le laisse penser la promotion de la série, ou à un spectateur engagé voire révolutionnaire ?
Cela dresse un paradoxe de taille : comment communiquer un idéal révolutionnaire au sein même d'un produit de consommation diffusé par une industrie à penchant capitaliste (la série télévisée) ? De fait, le médium télévisuel se prévaut d'exploiter le « temps de cerveau disponible » du téléspectateur (selon les mots de Patrick Le Lay), privilégiant son inconscience et sa passivité pour mieux lui vendre des publicités. Y trouve-t-on une place pour des idées révolutionnaires ? Sam Esmail se retrouve en fait dans une position analogue à celle de son personnage : intégrer le système, ses codes et ses règles pour tenter de les déjouer et les combattre...



Si le pari de cette saison 1 est de donner l'enthousiasme et le courage de la révolution, Mr Robot les convoque en effet chez le spectateur. Dans ce cadre émotionnel, la série, même de divertissement, a son rôle à jouer, puisqu'elle convoque les sentiments personnels et même les valeurs du spectateur. Mais sur le plan de l'action, il est difficile d'imaginer que la série, crée dans un cadre télévisuel précis, puisse avoir une influence directe sur les agissements de ses spectateurs. Il est donc délicat d'avancer que la série a pour rôle de pousser le spectateur à l'action ; mais le pousser à la réflexion, cela est encore possible, même à la télévision. Mr Robot, une série révolutionnaire : peut-être pas totalement, mais une série anticapitaliste : à sa manière, certainement.

lundi 14 mars 2016

Notes sur La Jalousie, de Philippe Garrel (2013)



Un film génial dans le sens du génie, ou simplement intéressant, digne du plus grand intérêt.

Une constellation de propositions dans tous les détails: des idées de jeu, de situations, de lumière, de son, de montage, de musique, de décors, de costumes, de scénario et de mise en scène.


Constater enfin comme c'est le jeu qui crée la mise en scène. Des propositions d'acteurs de planètes différentes, au sein de la même famille, dans des scènes d'enjeux de pouvoir. Des séquences de jeu plein de texte, ou spontané, du théâtre mêlé à l'être au cinéma. Les acteurs défilent, cherchent cette domination qui leur donnerait de l'importance; mais les deux personnages principaux rayonnent et éblouissent leur propre système solaire.


La jalousie c'est le désir de pouvoir. Jalousie de mère, de fille, de père, de femme; le désir d'ascendant jusqu'à la rupture. La recherche de l'harmonie, de l'abandon, utopique?


Tout est écriture, récit et narration autour de la vie, l'affect et le vécu, le su et le vu.

Une osmose formidable d'humilité, équipe toute au service d'une histoire intime et universelle ; le générique simplement aligné à gauche.

Un film qui est une psychanalyse à soi-même. À prendre comme il advient en nous; nous l'avons vécu, nous le vivons.


Peut être que je l'ai juste regardé à la bonne heure de la nuit.



jeudi 18 février 2016

Le documentaire, ce n'est pas ce que tu sais.

Je sors de la projection du film Homeland: Irak année zéro, d'Abbas Fahdel. Je capte en passant la remarque d'un spectateur (que, s'il le faut, je qualifierai d'âgé) qui accuse avec ardeur le film de "malhonnêteté". Pendant la rencontre avec des intervenants de l'ENS de Lyon, d'autres spectateurs, ayant vécu en Irak ou connaissant la situation, reprochent au film des "manques", des réalités qui auraient dû selon eux se retrouver dans cette fresque du pays. 

Mais, chers spectateurs, le documentaire n'est pas cette objectivité, cette historicité, cette exhaustivité que vous demandez. Ce n'est pas la réalité qui détermine le film, c'est le film qui détermine sa réalité. C'est la réalité du réalisateur, c'est celle qu'il a voulu montrer, exprimer, mettre en lumière et pas seulement en images. Il ne cherche pas à vous montrer tout ce qui existe, il cherche à vous montrer ce qu'il voit. Il voit sa famille, la rue, son pays, son exil, ses disparus, des enfants; il ne voit pas cette division entre chiites et sunnites dont vous parlez, il ne voit pas ceux qui ne veulent pas être filmés que vous suspectez, il n'a pas vu la guerre qui a existé. Ce qui est hors champ l'est pour une raison très simple. Ce n'est pas que ça n'existe pas; c'est que ça n'existe pas pour lui, vers lui, devant lui. Ça existe autrement; par traces, par témoignages, par échos, par l'absence aussi. Ce que vous lui reprochez de ne pas vous montrer, c'est ce qu'il ne voit pas ou ce qu'il refuse de voir. Laissez-le construire son film, son regard, sans lui demander, de votre hauteur de spectateur averti, de vous montrer ce que vous connaissez déjà.

On ne répétera donc jamais assez qu'un documentaire n'est pas objectif, n'est pas exhaustif, n'est pas au service de la réalité. Je voulais que vous sachiez, messieurs dames, à quel point je regrette que l'on y revienne toujours, et à quel point il est important pour le cinéma de laisser inaccomplie cette exigence stérile. Car le documentaire, c'est du cinéma; ce n'est pas la réalité. 



Pour Alain Letoulat.

mardi 9 février 2016

Écriture automatique 4° Blast

1/02/2016/19:03/19:34/

Serpillière sans souci fermentée à l'opium, perdue dans l'immensité glaciaire. Souris fermée en plein grand écart, effacée sans sourire, contrebalancée, contrecarrée, éventuellement. Courir loin dehors derrière sans caresser rien de tout ça. Fermer ses écoutilles. Déterminer qui on est qui on veut qui que ce soit courant à vent contraire. Avant de courir. 
Plein de mouvement, plein d'embruns pour quelque chose de pur. Sans certitude rien de valable. Mais devant, c'est loin, c'est toujours plus flou et plus effacé. 19:08

19:09 Firmament effacé. Roulement rotatif. Écrasement gratuit. Jeu perfide, subtil mais sous-jacent. Tu n'as rien d'exquis. Fermement attachée à quelque chose de spécial, quelque chose d'immédiat, une spirale élévatrice. Ferme. 19:13


Blast

19:15 Roger le panneau navigue, entre les rues, enivré. Il sait qu'il doit arriver quelque chose, que son monde va basculer aujourd'hui. Il attend son destin de pied ferme. Peu de choses retiennent son attention. Il marche lentement, les yeux au fond des orbites. Il s'attache à des détails, à ce que ressentent ses orteils sur leur semelle glacée. Les dalles le chatouillent et le font souffrir. Mais il attend avant de rentrer boire son vin chose - son vin chaud. La fumée l'étouffe. Il fume ce qui lui reste de dignité, les doigts frigorifiés, les yeux écarquillés. Personne ne croise son regard; d'ailleurs, il ne les regarde pas. Il souffle, il soupire, il attend. Mais rien ne vient. Il perd toute notion d'effacement, se met à baragouiner, à prendre les chevaux pour des veaux, les belles pour des semelles. Il piétine ce qui lui reste de fierté. 

19:20 Le feu est rouge, droit devant; il grimpe dessus. Il s'affiche. Il joue au capitaine. Mais il n'est rien de tout ça; qu'un pauvre dans l'air. Roule ma poule, l'insulte-t-il. Il certifie que ses couronnes sont d'or. Il n'écoute rien, il n'écoute personne. Il ne fait que se répéter. 
On le juge. 19:24

Il conduit son rade à vau l'eau. Il n'a rien de la légèreté du papillon qu'il écoute. Il voudrait un manoir serti de pierres précieuses. Il retrouve ses cartons. 

19:27 Il ne s'occupe de rien, il ne voit rien, il s'endort. Il perd pied. Il regroupe ses forces. Il cherche à voir, mais c'est noir, c'est blanc, rien à voir. Il souffle, il s'essouffle. Il cherche le sol. Il tombe mais s'envole. Ça y est, il n'en a plus rien à foutre. Il crève d'envie d'avoir envie, mais rien ne vient. Il n'est plus que là. Éventuellement, il voit une femme. En l'occurrence, elle le regarde. Elle est nue. Elle n'existe pas, et il lui crache dessus. Elle s'efface, mais son regard soutient le sien. Il ne lui échappe pas. Il est toujours au-dessus du sol, nulle part sur la terre, mais même l'air ne le supporte plus. Il freine. Il s'écrase. Il cherche ses membres qui s'éloignent. Il explose. Il ne supporte plus son propre regard. Il est seul. Il ne se supporte plus. Plus rien ne le porte. 
Il n'est nulle part; il a disparu.


samedi 9 janvier 2016

Je ne sais pas pourquoi j'essaye de parler & De l'inexistence du malentendu

Hier soir dans le métro, un homme visiblement saoul se justifie: "ma mère m'a appris le bien et le mal"; "le mal et la vérité ça fait deux"; "moi je dis la vérité." Apparemment, il avait abordé de je ne sais quelle manière une femme, et un homme tentait de débattre après l'avoir défendue.
Mais, pauvre homme, la vérité, ce n'est pas toi qui  la dit, ce n'est pas elle non plus, c'est ce qui résulte de votre interaction, c'est ce qui part de toi et est reçu par elle, c'est ce qui advient entre vous deux, ce qui se mélange en dehors de vos deux consciences. Sa réception compte autant que ton intention. 

On m'a appris à donner beaucoup d'importance aux mots; parfois peut-être trop, m'a-t-on aussi dit. Je mesure sans cesse leur exactitude, parce que ça me semble nécessaire pour ne pas tomber dans ce dialogue de sourd bourré sur "la vérité". Les mots ont un sens. Pas qu'un seul, certes; mais ils ont une définition qui nous permet de les comprendre... Pour faire vite, une définition sur laquelle peuvent s'accorder deux êtres qui voudraient communiquer.
J'ai parfois l'impression de surprendre lorsque j'utilise un mot peu utilisé pour m'exprimer, souvent pour me clarifier. Comme si ce n'était pas nécessaire, comme si les mots plus communs mais plus vagues suffisaient. Ils suffisent lorsqu'on ne cherche pas à comprendre les nuances que veut exprimer l'autre. Ils suffisent lorsqu'on se les approprie. Le reste n'est qu'une histoire de précision.


Mais cette précision, que je recherche, est-elle vaine? J'y suis attachée car je sais à quel point la communication est complexe, à quel point elle est vite digérée et réinterprétée par l'auditeur. Il ne pourra jamais recevoir tel que je les conçois mes émotions, mes mots. Mais je ne peux pas dire qu'il les déforme, parce que je crois que ce qu'il entend est aussi vrai que ce que j'ai dit. S'il l'entend, c'est que c'est contenu dans mes mots. Alors, j'essaye d'utiliser les bons. Même quand on ne les entend pas.