dimanche 24 juillet 2016

Ce sentiment de l'été, de Mikhaël Hers

Ce film m'a été conseillé en toute discrétion, par quelqu'un avec qui je ne suis jamais allée au cinéma. J'étais donc d'autant plus curieuse de voir ce qui pouvait me correspondre dans ce film. Et en effet, c'est une découverte très mémorable qui va marquer, je n'en doute pas, mon année de cinéma. 

 
« Au milieu de l'été, Sasha, 30 ans, décède soudainement. Alors qu'ils se connaissent peu, son compagnon Lawrence et sa sœur Zoé se rapprochent. Ils partagent comme ils peuvent la peine et le poids de l'absence, entre Berlin, Paris et New York. Trois étés, trois villes, le temps de leur retour à la lumière, portés par le souvenir de celle qu'ils ont aimée. »

Au départ, je suis allée voir le film qu'on m'avait conseillé, mais surtout, je suis allée voir Anders Danielsen Lie. Découvert en France avec le magnifique film de Joachim Trier Oslo, 31 août, cet acteur a une aura de simplicité toute norvégienne. Si ce n'était pas déjà le cas, je suis tombée définitivement amoureuse de lui devant Ce Sentiment de l'été: sa présence à l'écran est extrêmement généreuse; il incarne le personnage comme une personne, un être souffrant parfois mais avant tout juste vivant. Ses mouvements sont très simples, ses regards sont très justes et ses paroles sont dites avec une simplicité qui fait pourtant transpirer beaucoup d'émotion. Tout ceci émane d'une vraie générosité, offerte sans artifice aux spectateurs, et, filmé avec amour, on a envie de le regarder avec amour, voyant des sentiments aussi complexes incarnés avec autant de sobriété.


Dès les premières images, on remarque le grain de la pellicule, la lumière abondante de l'été et les couleurs presque criardes qui font ressortir les matières: le bleu du ciel, le vert de la pelouse, le jaune d'un pull, le bleu d'une robe, le jaune du métro et le rouge des pompes à eau. L'image, bizarrement, me rappelle les années 90 ou un temps d'avant que je n'ai en fait jamais connu; cela donne un agréable sentiment d'intimité, et en même temps quelque chose d'intemporel... En ressort une impression du quotidien, le notre, plein de gens qu'on a pu connaître ou plein de films qu'on a pu voir.
« Chercher à dessiner ce réel mouvant et énigmatique qui échappe sans cesse, où l’incongru, le drolatique ou bien le pire peuvent surgir à tout instant. Ces fragments de réalité, ces bribes de vies qui nous parviennent sans que l’on puisse en saisir le sens et dont il ne restera que quelques souvenirs, quelques traces. Pas le deuil donc, mais la vie, tout le temps faite de choses ambivalentes et complexes et lumineuses aussi, même parfois dans les instants les plus sombres.  »

Cette intimité, elle vient aussi des cadres, toujours choisi avec justesse, car avec simplicité. La distance avec les personnages est progressivement abolie. Chaque séquence les découvre avec amour, tout en racontant aussi la ville dans laquelle ils évoluent. On voit très bien que le réalisateur connaît les endroits qu'il filme, qu'il les aime, à tel point qu'on peut parfois avoir l'impression d'un carnet de voyage. C'est à partir de ces villes qu'il a créé ses personnages: ces lieux sont habités, ils sont vivants, et ce ne sont pas des prétextes ou de simples décors. Même la musique leur est familière, habite les rues et résonne avec familiarité. Tout dans ce film émane la justesse et la délicatesse; c'est avec délicatesse qu'on se sent proche du film dans son ensemble.


C'est dans cet écrin de dentelle que Mikhaël Hers nous parle de sentiments - ou plutôt nous en insuffle les frissons. Les émotions de Lawrence et de Zoé, autour du deuil et de l'affection, sont complexes, mais on ne cherche pas à nous les montrer dans leur complexité. Au contraire, c'est avec simplicité qu'on les comprend, qu'on les ressent à travers une douce subtilité ; et pourtant on en décerne les enjeux, et on y est confronté presque avec les personnages. J'ai envie de les suivre, de les aider, j'ai envie qu'ils les surpassent.
L'intérêt de la structure éclatée du film, en trois lieux, trois étés permet de se focaliser non pas sur un seul personnage mais sur les deux protagonistes d'une relation qui existe en pointillés. Ainsi, on comprend à quel point ces deux personnages vivent les mêmes difficultés à dépasser le deuil. Ils essayent tous les deux, à leur manière, de retrouver et de se séparer de Sasha, dans tous les paradoxes que cela représente. 
Mais heureusement, pas de poésie niaise, pas de bien-pensance, pas de happy end. Ce qui importe, c'est la bienveillance envers le ressenti de ces deux personnages et la délicatesse dans la façon de les aborder. J'y ai vu cette solitude qui nous caractérise tous, malgré l'amour et l'importance que l'on porte à nos amis... Le besoin de soutien que l'on ne retrouve peut être que dans l'amour, lui-même si difficile à saisir et jamais accompli... Ce que j'ai cru comprendre, c'est ce lâcher prise auquel on s'adonne dans l'amour comme le seul remède (provisoire ?) à cette solitude. 

Mr Robot (saison 1)

Séries Mania / 15/04/24/04/16 / Paris


Quelle est la forme de politique possible
sur les écrans télévisés ?

D'après :

MR ROBOT (2 x 60min)
[Série américaine diffusée sur USA Network en 2015]
[Sélectionnée en compétition du festival Séries Mania 2016]
Elliot Alderson, un ingénieur cyber-sécurité de jour et un hacker justicier de nuit, est recruté par un mystérieux groupe clandestin pour détruire l'entreprise qui l'emploie. Elliot doit décider jusqu'où il ira pour exposer les forces qui dirigent (et ruinent) le monde.

Et : 
« MR ROBOT : une série anticapitaliste ? »
Conférence de Xavier De La Porte

(!) SPOILER



                     La promotion de Mr Robot,  adressée notamment au public du site internet gaming Twitch et du festival de médias interactifs SXSW, prédestinait la série à un public ciblé « geek », mais son succès public et critique a dépassé ces attentes : 1,75 million de téléspectateurs lors de la diffusion du pilote et un succès critique aux États-Unis comme en France. De fait, le pari de mettre en scène à la télévision un hacker semble difficile, mais est gagné haut la main par le show runner Sam Esmail. 
Au début du premier épisode, la première séquence de hack annonce immédiatement les enjeux et les partis pris de la série quant à son personnage. Si Elliot Alderson est fixé derrière son ordinateur, la mise en scène instaure la dynamique de sa pensée grâce à une voix-off captivante, et représente lnternet comme une réalité derrière la réalité, un réseau complexe pas si caché que cela pour un hacker surdoué comme Elliot. Ainsi, la séquence nous révèle l'atmosphère dans laquelle vit le personnage, mais aussi son intimité et ses convictions profondes grâce à la proximité qu'offre la voix off. Elliot évoque le 1 % des puissants qui dirigent le monde, la vacuité d'un système fondé sur cette minorité insaisissable et la dette qu'ils entretiennent, rappelant les discours politiques du groupe « Occupy Wall Street » ou des Anonymous. Pourtant, on nous le présente également comme un employé talentueux et sérieux dans une multinationale qu'il appelle lui-même « Evil Corp ». Ce personnage ambigu, à la fois fataliste et révolutionnaire, fait écho à la situation à laquelle beaucoup d'idéalistes se résignent : faire partie du système honni pour le combattre à son échelle, de l'intérieur.


Le système qu'Anderson accuse est incarné par une entité, la multinationale E Corp, que combat le groupe de hackers « Fsociety », qui dénonce « une société corrompue par l'argent ». Mais ces deux organismes et ce qu'ils représentent laissent un flou dans le discours politique de la série. La révolution est pensée d'après la problématique de la dette, qui, réglée, assainirait la société ; mais on ne pose pas la question de savoir qui de l'argent ou du système sociétal lui-même est en cause de son dysfonctionnement.
Ainsi, le dénouement de la première saison offre une révolution vague, qui semble inaboutie. La dette est évacuée mais la société semble rester la même. Représentée par une masse informe de milliers d'individus anonymes, l'action révolutionnaire semble se limiter à un effet de masse, ou à une folie du personnage, puisqu'Elliot se révèle peu à peu schizophrène. D'une part, cela décrédibilise l'élan héroïque et courageux du personnage : ses dilemmes moraux sont par là réduits à des problèmes individuels, détachés des contraintes du monde extérieur auxquelles Elliot avait justement du mal à se confronter. Faisant face à ses propres coercitions, son libre-arbitre est discrédité. La promesse politique de la série semble donc s'essouffler au fil de la saison en s'attardant sur la dimension psychologique du personnage. D'autre part, la représentation de la révolution est elle aussi évacuée, comme un grand finale spectaculaire, mais pas si joyeux que cela. Il s'agit uniquement d'un grand mouvement de foule, d'une agitation rageuse des « 99 % », sans être visiblement une prise de conscience collective. Les publicités continuent de défiler derrière la foule et les masques, tous semblables, qui cachent les visages sont un signe de cet aveuglement individuel, de la confiance irréfléchie en la puissance de la majorité. Faudrait-il conclure que Mr Robot nous propose de passer de la loi du plus fort à la tyrannie de la majorité ?

En réalité, la série ne propose pas vraiment de modèle alternatif au système qu'elle dénonce. Elle convoque la révolution sans montrer effectivement le moyen de la mener, et sans donner d'alternative à la société. Si cela peut être un reproche à l'égard de la série, comme le formule Xavier De La Porte, il faut toutefois se demander si c'est réellement le dessein du programme. 
Mr Robot se contente en fait d'être une impulsion, une modeste sonnette d'alarme, mais elle ne pousse pas à l'action. Elle a le mérite de mettre le spectateur face à des dilemmes cruciaux : jusqu'où faut-il aller pour la Révolution ? Qui suivre au nom de ses convictions ? Quelle est la responsabilité individuelle dans nos engagements ? Quels pouvoirs invoquer pour agir effectivement ? Mais la série ne résout pas ces interrogations ; elle permet seulement au spectateur engagé de penser l'action qu'il est prêt à mener. De là se pose la question du public ciblé : s'adresse-t-on à une communauté « geek » comme le laisse penser la promotion de la série, ou à un spectateur engagé voire révolutionnaire ?
Cela dresse un paradoxe de taille : comment communiquer un idéal révolutionnaire au sein même d'un produit de consommation diffusé par une industrie à penchant capitaliste (la série télévisée) ? De fait, le médium télévisuel se prévaut d'exploiter le « temps de cerveau disponible » du téléspectateur (selon les mots de Patrick Le Lay), privilégiant son inconscience et sa passivité pour mieux lui vendre des publicités. Y trouve-t-on une place pour des idées révolutionnaires ? Sam Esmail se retrouve en fait dans une position analogue à celle de son personnage : intégrer le système, ses codes et ses règles pour tenter de les déjouer et les combattre...



Si le pari de cette saison 1 est de donner l'enthousiasme et le courage de la révolution, Mr Robot les convoque en effet chez le spectateur. Dans ce cadre émotionnel, la série, même de divertissement, a son rôle à jouer, puisqu'elle convoque les sentiments personnels et même les valeurs du spectateur. Mais sur le plan de l'action, il est difficile d'imaginer que la série, crée dans un cadre télévisuel précis, puisse avoir une influence directe sur les agissements de ses spectateurs. Il est donc délicat d'avancer que la série a pour rôle de pousser le spectateur à l'action ; mais le pousser à la réflexion, cela est encore possible, même à la télévision. Mr Robot, une série révolutionnaire : peut-être pas totalement, mais une série anticapitaliste : à sa manière, certainement.