Quelle est la forme de politique possible
sur les écrans télévisés ?
D'après :
MR ROBOT (2 x 60min)
[Série américaine diffusée sur USA Network en 2015]
[Sélectionnée en compétition du festival Séries Mania 2016]
Elliot Alderson, un
ingénieur cyber-sécurité de jour et un hacker justicier de nuit,
est recruté par un mystérieux groupe clandestin pour détruire
l'entreprise qui l'emploie. Elliot doit décider jusqu'où il ira
pour exposer les forces qui dirigent (et ruinent) le monde.
Et :
« MR ROBOT : une série
anticapitaliste ? »
Conférence de Xavier De La Porte
(!) SPOILER
La
promotion de Mr Robot, adressée notamment au public du site internet gaming
Twitch et du festival
de médias interactifs SXSW,
prédestinait la série
à un public ciblé « geek »,
mais son succès public et critique a dépassé ces attentes :
1,75 million de téléspectateurs lors de la diffusion du pilote et
un succès critique aux États-Unis comme en France. De fait, le pari
de mettre en scène à la télévision un hacker
semble difficile, mais est gagné haut la main par le show
runner Sam Esmail.
Au début du premier épisode, la première séquence de hack annonce immédiatement les enjeux et les partis pris de la série quant à son personnage. Si Elliot Alderson est fixé derrière son ordinateur, la mise en scène instaure la dynamique de sa pensée grâce à une voix-off captivante, et représente lnternet comme une réalité derrière la réalité, un réseau complexe pas si caché que cela pour un hacker surdoué comme Elliot. Ainsi, la séquence nous révèle l'atmosphère dans laquelle vit le personnage, mais aussi son intimité et ses convictions profondes grâce à la proximité qu'offre la voix off. Elliot évoque le 1 % des puissants qui dirigent le monde, la vacuité d'un système fondé sur cette minorité insaisissable et la dette qu'ils entretiennent, rappelant les discours politiques du groupe « Occupy Wall Street » ou des Anonymous. Pourtant, on nous le présente également comme un employé talentueux et sérieux dans une multinationale qu'il appelle lui-même « Evil Corp ». Ce personnage ambigu, à la fois fataliste et révolutionnaire, fait écho à la situation à laquelle beaucoup d'idéalistes se résignent : faire partie du système honni pour le combattre à son échelle, de l'intérieur.
Au début du premier épisode, la première séquence de hack annonce immédiatement les enjeux et les partis pris de la série quant à son personnage. Si Elliot Alderson est fixé derrière son ordinateur, la mise en scène instaure la dynamique de sa pensée grâce à une voix-off captivante, et représente lnternet comme une réalité derrière la réalité, un réseau complexe pas si caché que cela pour un hacker surdoué comme Elliot. Ainsi, la séquence nous révèle l'atmosphère dans laquelle vit le personnage, mais aussi son intimité et ses convictions profondes grâce à la proximité qu'offre la voix off. Elliot évoque le 1 % des puissants qui dirigent le monde, la vacuité d'un système fondé sur cette minorité insaisissable et la dette qu'ils entretiennent, rappelant les discours politiques du groupe « Occupy Wall Street » ou des Anonymous. Pourtant, on nous le présente également comme un employé talentueux et sérieux dans une multinationale qu'il appelle lui-même « Evil Corp ». Ce personnage ambigu, à la fois fataliste et révolutionnaire, fait écho à la situation à laquelle beaucoup d'idéalistes se résignent : faire partie du système honni pour le combattre à son échelle, de l'intérieur.
Le
système qu'Anderson
accuse est incarné par une entité, la multinationale E Corp, que
combat le groupe de hackers « Fsociety », qui dénonce
« une société corrompue par l'argent ». Mais ces deux
organismes et ce qu'ils représentent laissent un flou dans le
discours politique de la série. La révolution est pensée d'après
la problématique de la dette, qui, réglée, assainirait la
société ; mais on ne pose pas la question de savoir qui de
l'argent ou du système sociétal lui-même est en cause de son
dysfonctionnement.
Ainsi,
le dénouement de la première saison offre une révolution vague,
qui semble inaboutie. La dette est évacuée mais la société semble
rester la même. Représentée par une masse informe de milliers
d'individus anonymes, l'action révolutionnaire semble se limiter à
un effet de masse, ou à une folie du
personnage, puisqu'Elliot se révèle
peu
à peu
schizophrène. D'une part,
cela décrédibilise l'élan héroïque et courageux du personnage :
ses dilemmes moraux sont par là réduits à des problèmes
individuels, détachés des contraintes du monde extérieur
auxquelles Elliot avait justement du mal à se confronter. Faisant
face à ses propres coercitions, son libre-arbitre est discrédité.
La promesse politique de la série semble donc s'essouffler au fil de la
saison en s'attardant sur la dimension psychologique du personnage.
D'autre part, la représentation de la révolution est elle aussi
évacuée, comme un grand
finale spectaculaire, mais pas
si joyeux que cela. Il s'agit uniquement d'un grand mouvement de
foule, d'une agitation rageuse des « 99 % », sans
être visiblement une prise de conscience collective. Les publicités continuent de défiler derrière la foule et les masques,
tous semblables, qui cachent les visages sont un signe de cet
aveuglement individuel, de la confiance irréfléchie en la puissance
de la majorité. Faudrait-il conclure que Mr Robot nous propose de
passer de la loi du plus fort à la tyrannie de la majorité ?
En
réalité, la série ne propose pas vraiment de modèle alternatif au
système qu'elle dénonce. Elle convoque la révolution sans montrer effectivement le moyen de la mener, et sans donner d'alternative à la société.
Si cela peut être un reproche à l'égard de la série, comme le
formule Xavier De La Porte, il faut toutefois se demander si c'est
réellement le dessein du programme.
Mr Robot se contente en fait d'être une impulsion, une modeste sonnette d'alarme, mais elle ne pousse pas à l'action. Elle a le mérite de mettre le spectateur face à des dilemmes cruciaux : jusqu'où faut-il aller pour la Révolution ? Qui suivre au nom de ses convictions ? Quelle est la responsabilité individuelle dans nos engagements ? Quels pouvoirs invoquer pour agir effectivement ? Mais la série ne résout pas ces interrogations ; elle permet seulement au spectateur engagé de penser l'action qu'il est prêt à mener. De là se pose la question du public ciblé : s'adresse-t-on à une communauté « geek » comme le laisse penser la promotion de la série, ou à un spectateur engagé voire révolutionnaire ?
Mr Robot se contente en fait d'être une impulsion, une modeste sonnette d'alarme, mais elle ne pousse pas à l'action. Elle a le mérite de mettre le spectateur face à des dilemmes cruciaux : jusqu'où faut-il aller pour la Révolution ? Qui suivre au nom de ses convictions ? Quelle est la responsabilité individuelle dans nos engagements ? Quels pouvoirs invoquer pour agir effectivement ? Mais la série ne résout pas ces interrogations ; elle permet seulement au spectateur engagé de penser l'action qu'il est prêt à mener. De là se pose la question du public ciblé : s'adresse-t-on à une communauté « geek » comme le laisse penser la promotion de la série, ou à un spectateur engagé voire révolutionnaire ?
Cela dresse un
paradoxe de taille : comment communiquer un idéal
révolutionnaire au sein même d'un produit de consommation diffusé
par une industrie à penchant capitaliste (la série télévisée) ?
De fait, le médium télévisuel se prévaut d'exploiter le « temps
de cerveau disponible » du téléspectateur (selon les mots de
Patrick Le Lay), privilégiant son inconscience et sa passivité pour
mieux lui vendre des publicités. Y trouve-t-on une place pour des
idées révolutionnaires ? Sam Esmail se retrouve en fait dans
une position analogue à celle de son personnage : intégrer le
système, ses codes et ses règles pour tenter de les déjouer et les
combattre...
Si
le pari de cette saison 1
est de donner l'enthousiasme et le courage de la révolution, Mr
Robot
les convoque en effet chez le spectateur. Dans ce cadre émotionnel,
la série, même de divertissement, a son rôle à jouer, puisqu'elle
convoque les sentiments personnels et même les valeurs du
spectateur. Mais sur le plan de l'action, il est difficile d'imaginer
que la série, crée dans un cadre télévisuel précis, puisse avoir
une influence directe sur les agissements de ses spectateurs. Il est
donc délicat d'avancer que la série a pour rôle de pousser le
spectateur à l'action ; mais le pousser à la réflexion, cela
est encore possible, même à la télévision. Mr Robot,
une série révolutionnaire : peut-être pas totalement, mais
une série anticapitaliste : à sa manière, certainement.
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