mardi 9 juin 2015

Écriture automatique 3° À quoi pensent ces gens ?

/2jours/2nuits/

À quoi pensent ces gens ?

À quoi pensent-ils, ces gens qui attendent leur métro ? Est-ce qu'ils pensent à la beauté du monde, à ces innombrables formes de vers qui forment des flaques et des reflets sur le sol ? Est-ce qu'ils pensent à toutes les capacités de création qu'on a aujourd'hui ? Est-ce qu'ils pensent à la masse, à l'état de la société aujourd'hui ? Est-ce qu'ils pensent qu'on est foutus, est-ce qu'ils pensent qu'il y a de l'espoir ou est-ce qu'ils s'en foutent ? Est-ce qu'ils évitent de penser en jouant sur leur portable ou est-ce qu'ils n'ont jamais pensé ? Est-ce qu'ils vont loin avec tous ces sacs ou est-ce qu'ils font ce même trajet tous les jours les mains dans les poches ? Est-ce qu'ils y rencontrent d'autres personnes ou se contentent d'égayer leur trajet en se forçant à parler avec des connaissances ? Est-ce qu'ils ne se forcent plus, lorsqu'ils ne font que les saluer pour s'arrêter à distance ? Est-ce qu'ils sont en attente, pressés, ou est-ce qu'ils prennent le temps de savoir où ils sont ? Est-ce qu'ils savent où ils vont ou est-ce qu'ils se sont trompés de ligne ? Est-ce qu'ils aiment ce qu'ils voient ou est-ce qu'ils aimeraient être ailleurs ? Est-ce qu'ils pensent qu'ils sont là ? Est-ce qu'ils croient en l'arrivée, est-ce qu'ils croient en l'au-delà ? Est-ce qu'ils aiment ? Est-ce qu'ils sont en attente ? Est-ce qu'ils souffrent ? Est-ce qu'ils savent pourquoi ils sont là ? 

Est-ce qu'ils ont peur de ce qui est à venir ou est-ce qu'ils avancent dans ce tunnel à une issue sans égard pour l'issue? 

À quoi pensent ces gens ? qui dansent, qui se draguent, qui s'exercent, qui se passent. Ont-ils à venir ou sont-ils somnambules ? 
Soudain certaines cordes se crispent et retentissent les sonorités acquittées, dépassées. Certains errent, sautent et tournent. 
Personne n'attend. 
Comme ils veulent être là, tous

Les vieux rituels reprennent. Le spectacle change de costume, et les spectateurs s'échauffent ou crient. 
Qu'est-ce qu'ils racontent, ces gens qui jouent en ligne ? Asie qui a rejoint l'Afrique par l'Europe. Les plans sont successifs. 
J'ai besoin du feu, moi, j'ai besoin des montagnes pour arrêter le vent. Certains sont seuls et entourés. Le vent les traverse quand ils tourbillonnent. Ils reviennent de front, ravivés. Émoustillés. 

Il me faut du feu, du feu et la braise. 


Gaz de France, de Benoît Forgeard


Présenté en Programmation Officielle de l’ACID au Festival de Cannes 2015.




Les petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes?



Moi non plus, à l'origine, le titre de ce film, présenté discrètement au petit Studio 13 du Festival de Cannes, ne me disait pas trop. Mais il ne faut surtout pas s'y fier: Gaz de France n'est ni un film de propagande d'EDF-GDF pour faire passer son nouveau jeu de mot "Engie", ni un pamphlet anti-gaz de schiste. Il est presque plus proche de la comédie musicale, puisque le scénario se base sur le succès de la chanson "La rigueur en chantant" qui a amené le président Bird au pouvoir. Joué par Philippe Katerine, le Président français tente désespérément de répondre aux questions de "La Française parmi les Français" - émission spéciale organisée par son équipe de communication pour tenter de le remettre à flots... en chantant "Je ne sais pas... je n'en sais rien..." d'un air lancinant. Dernier recours pour Michel Battement, bras droit du président Bird: un brain-storming avec des Français aux "profils atypiques". En matière d'atypisme, ils sont servis: une représentante du Parti des Enfants, un spécialiste des mythes africains et des chats, une journaliste 2.0, le Maire de Saint-Dizier, un expert en nano-technologies et sciences en tous genres et l'assistant post-adolescent qui les a recrutés.



Réunis dans la salle Chirac, au premier sous-sol de l'Elysée, les participants à ce huis-clos sont enjoints à proposer leurs idées pour sauver le président Bird, aussi désespérement que le soldat Ryan. On s'attend à ce que l'équipe de bras cassés descende jusqu'au trente-sixième sous-sol, en voulant traiter avec autant d'inefficacité cette situation désespérée; mais heureusement, ils n'iront que jusqu'au troisième sous-sol, dans la réplique du bureau présidentiel, avec vue sur une mer pixellisée, le soleil coulant son reflet dans la mer rosâtre.
Chaque séquence formule une proposition qui semble, à première vue, avancer vers le dénouement; mais qui finalement n'est qu'un noeud marin de plus dans cet imbroglio. "Il faut couler Bird", finissent alors par s'accorder les profils atypiques, lorsqu'ils s'aperçoivent que tous ces noeuds autour du gouvernail sont indéfectibles. Le scénario prend alors une autre tournure: un complot se fomente derrière les vieux cartons des anciens présidents. Le spectateur croit pouvoir suivre le film en suivant cette intention des personnages ; mais évidemment, Benoît Forgeard prend les attentes du spectateur à rebrousse poil et interviennent les Birds siffleurs, la révolution, le coup d'Etat. Ces situations, de plus en plus absurdes, sont jouées et filmées avec le plus grand sérieux, à notre plus grand bonheur qui voyons ces personnages pédaler dans la choucroute avec Engie énergie. Le bateau prend l’eau, inévitablement - pourtant, les décors réalisés avec soin sont impeccables et délicieusement mystérieux. On s’imagine l’Elysée comme un Titanic miniature, assailli par des oiseaux qui n’ont rien d’hitchcockien. Mais les références, elles aussi, sont fantasmées par le spectateur. Benoît Forgeard s’amuse, délire, sans jamais chercher à se justifier ou à s’inscrire dans une quelconque lignée: l’objet qu’il a conçu est non-identifié et vogue très bien tout seul. La musique de Bertrand Burgalat est parfaite pour bercer ces flots; elle est, comme eux, électrique et vaporeuse.



Ce grand mélange qui part dans tous les sens, avec la plus grande maîtrise et le plus grand sérieux, est le même dans les dialogues, portés par des acteurs formidables (Philippe Katerine, mais aussi Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jean-Luc Vincent…). Les conclusions qu'ils tirent de leurs péripéties sont pleines de sous-textes, parfois politiquement incorrects. On s’autorise à rire de la pédophilie, du rationnement, de la guerre atomique, de l’exploitation sexuelle, du communisme, de Saint-Dizier, du clafoutis; enfin, de tout, tant que la salle y consent. Pour faire clair, je ne me suis jamais sentie aussi bien dans une salle de cinéma; et ce n’est pas grâce au confort des fauteuils. On embarque sans problème sur le bateau de ce mec en imper Kalenji; en plus, il m’est bien sympathique.