samedi 14 novembre 2015

ÉTAT D'URGENCE



CE MATIN, UN NOMBRE ANORMAL DE SMS SUR MON TÉLÉPHONE. 

« Tu as vu ce qu'il s'est passé à Paris ?? »
« J’espère que tu n'es pas dehors avec ces événements »
« Y'a des fusillades, explosions et prises d'otages. »
« Tout va bien? »
« C'est horrible »

HORRIBLE. HORREUR. DES FUSILLADES ? JE ME LÈVE D'INCOMPRÉHENSION, DE COLÈRE ET D'INDIGNATION. EN ALLANT VERS MA DOUCHE, L'ESPACE DE QUELQUES MÈTRES, LE MOT RÉSONNE DANS MA TÊTE. DES FUSILLADES ? ENCORE ? JE RÉALISE, JE PLEURE. DE RAGE POUR L'INSTANT.
DANS MA DOUCHE, JE ME QUESTIONNE : DES ATTAQUES TERRORISTES ? DES ISLAMISTES ? OUI, OUI FORCÉMENT, BIZARREMENT J'EN SUIS DÉJÀ CONVAINCUE ; ALORS QU'EN JANVIER J'AVAIS REFUSÉ DE LE CROIRE JUSQU'À LA DERNIÈRE SECONDE.
PETIT À PETIT, JE RESSENS L'URGENCE DE LA SITUATION. QU'EST-CE QU'IL S'EST PASSÉ ? QU'EST-CE QU'IL SE PASSE ? JE ME RUE SUR MON ORDINATEUR, PANIQUÉE. DEVANT GOOGLE, JE M'ARRÊTE. JE CHERCHE QUOI EN FAIT ? QUELLE IRONIE. JE FINIS PAR TAPER « FUSILLADES PARIS »...

LE FLOT D'INFORMATIONS M'ENVAHIT, MA SOIF DE COMPRÉHENSION JAMAIS ÉPANCHÉE PUISQUE J'AI LU « JIHADISTES ». J'AI LE SENTIMENT TRÈS NET QUE JE NE COMPRENDRAI PAS, QUE JE NE COMPRENDRAI JAMAIS. DANS QUELLE MONDE CROIT-ON ACCÉDER AU PARADIS EN TUANT ? EN SE SUICIDANT ?? COMMENT PEUT-ON ENCORE CROIRE AU PARADIS ???
JE PLEURE, JE PLEURE, JE PLEURE ET JE PLEURE ENCORE EN VOYANT QU'IL Y A DÉJÀ SUR FACEBOOK LA LISTE DE MES AMIS « EN SÉCURITÉ », ET DE VOIR MON FRÈRE EN TÊTE DE LISTE. DE NE PAS Y VOIR MA SŒUR.
JE NE CÈDE PAS À LA PANIQUE. SI JE PLEURE, C'EST PAR COLÈRE, PAR HORREUR, PAR AFFREUX DÉJÀ-VU, PAR FUREUR QUE ÇA RECOMMENCE, PAR HAINE QUE DES GENS SOIENT AUSSI CONS, PAR RAGE QU'ILS AIENT ATTEINT AUTANT DE PERSONNES, PAR DÉSESPOIR QU'ILS AIENT ATTEINT NE SERAIT-CE QU'UN SEUL INNOCENT.


TOUTE LA JOURNÉE, EN ESSAYANT TANT BIEN QUE MAL DE DIVERTIR MON ESPRIT PAR DES FUTILITÉS, PLUS ENCORE QUE LES AUTRES JOURS, DANS MES MOMENTS DE CLARTÉ JE ME SUIS DEMANDÉ CE QUE JE POUVAIS FAIRE.
LE PIRE, C'EST LE DÉCALAGE ENTRE L'INDIGNATION QUE JE LIS SUR INTERNET ET QUE JE NE VOIS NULLE PART SUR LES VISAGES, DEHORS. AU CENTRE COMMERCIAL, ON CONTINUE D'ACHETER CE QU'OFFRENT LES VENDEURS AU SOURIRE IMMENSE. PERSONNE D'AUTRE QUE MOI POUR PLEURER AU MILIEU DES ALLÉES.


QU'EST-CE QU'ON PEUT FAIRE ? PRÉCISÉMENT RIEN, J'AI L'IMPRESSION. COMMENT SE BATTRE CONTRE CES GENS SI PROFONDÉMENT DÉTACHÉS DE NOTRE RÉALITÉ, PSYCHOLOGIQUEMENT, GÉOGRAPHIQUEMENT, MORALEMENT ? NOUS SOMMES TOUS AUSSI IMPUISSANTS AU NIVEAU INDIVIDUEL QUE NOS DIRIGEANTS LE SONT AU NIVEAU DIPLOMATIQUE. POURTANT JE REFUSE DE CROIRE CELA, QUELQUE CHOSE EN MOI N'ARRIVE PAS À SE RÉSIGNER. JE VOUDRAIS QU'ON PUISSE FAIRE QUELQUE CHOSE. JE VOUDRAIS QU'ON L'AIE FAITE, CETTE PUTAIN DE RÉVOLUTION, JE VOUDRAIS QU'ON LA FASSE.


QUAND EST-CE QU'ON LA FAIT, CETTE PUTAIN DE RÉVOLUTION ? QUAND EST-CE QU'ON VA ARRÊTER DE CULPABILISER SUR NOTRE INACTIVITÉ, ET JOUIR DE NOS ACTIONS ? QUAND EST-CE QU'ON CHANGE LE MONDE COMME ON EN PARLE DANS NOS SOIRÉES ÉTUDIANTES, QU'ON SORT CRIER DANS LA RUE TOUS ENSEMBLE, POUR LES MÊMES RAISONS QUI FONT QU'ON NE CROIT PLUS EN CETTE DÉMOCRATIE, QU'ON CRACHE AUTANT SUR LA GAUCHE QUE SUR LA DROITE, QU'ON VOTE UTILE, QU'ON RÊVE D'ÊTRE ANARCHISTE, QU'ON CONSPUE LE PRÉSIDENT, QU'ON NE VA VA PAS VOTER, QU'ON RÂLE SUR LES MÉDIAS, QU'ON DÉTESTE L'ÉDUCATION CIVIQUE ET L’ÉDUCATION NATIONALE, QU'ON INSULTE LES FÉMINISTES, QU'ON MÉPRISE LA POLICE, QU'ON SE SENT PATRIOTE, QU'ON VEUT SORTIR DE L'EUROPE, QU'ON ACHÈTE BIO, QU'ON PENSE « TOUS POURRIS ! », QU'ON PRÉFÈRE VIVRE À L'ÉTRANGER, QU'ON NE VEUT PAS QUITTER LA FRANCE, QU'ON VOTE BLANC, QU'ON NE SE SENT PAS PATRIOTE, QU'ON AIME LE FROMAGE, QU'ON MANGE TOUJOURS DU SAUCISSON ET DU FOIE GRAS, QU'ON NE PREND PAS LES TRANSPORTS EN COMMUNS, QU'ON SE RÉFUGIE SUR INTERNET, QU'ON REGARDE LES CITÉS DE TRAVERS, QU'ON SE PERMET DE QUALIFIER QUELQU'UN DE « RACAILLE », QU'ON PAIE SA REDEVANCE TÉLÉ, QU'ON RIT DE LA FÊTE DES VOISINS, QU'ON REGARDE JAMAIS LES PASSANTS DANS LES YEUX, QU'ON NE SOURIT PAS DANS LA RUE, QU'ON NE DIT PAS BONJOUR ; VENEZ ON LA FAIT TOUT ENSEMBLE CETTE PUTAIN DE RÉVOLUTION PARCE QU'ON EST MALHEUREUX DES RELATIONS QUI GOUVERNENT NOTRE SOCIÉTÉ.


NOUS SOMMES DES HUMAINS ET NOUS NE VIVONS PAS DANS UNE MACHINE. NOUS VIVONS DE RELATIONS QUI SE CONSTRUISENT D'HOMME À HOMME ; J'AIMERAI AU MOINS LE CROIRE PAS TROP NAÏVEMENT, J'AIMERAI QU'ON EN SOIT CONSCIENTS AU QUOTIDIEN, ET QU'ON CONSTRUISE LE RESTE AUTOUR DE ÇA.
IL N'Y A RIEN D'AUTRE DANS LE MONDE ET DANS NOTRE VIE QUE NOS RELATIONS. NOUS N'EXISTONS PAS SANS, NOUS NE NAISSONS PAS SANS, NOUS NE PENSONS PAS SANS. RIEN NE SE FAIT, NE SE CRÉE, NE S'ÉCHANGE SANS RELATION. C'EST TERRIFIANT, N'EST-CE PAS ? ET POURTANT ON EST TERRIBLEMENT TRISTE QUAND ON EST SEUL ; QUAND ON NE VOIT PLUS CES RELATIONS.


JE CROIS QUE JE M'ÉGARE, MAIS C'EST POURTANT LA BASE, ET JE REVIENS TOUJOURS À LA BASE. COMMENT NE PAS ÊTRE HUMANISTE QUAND ON EXISTE ? COMMENT NE PAS VOIR QUE LA VIE DES AUTRES EST ENCORE PLUS PRÉCIEUSE QUE LA NOTRE, CAR LA NOTRE N'EST RIEN SANS LA LEUR ?


C'EST POUR ÇA QUE JE NE LES COMPRENDRAI JAMAIS, CES CONNARDS. C'EST POUR ÇA QUE JE NE M'AUTORISE QUE DIFFICILEMENT À LES INSULTER, À LES HAÏR ET JAMAIS À LES VOULOIR MORT. C'EST PARCE QUE JE ME SENS EFFROYABLEMENT SEULE À ÉPROUVER CE SENS HUMAIN QUE JE PLEURE ET QUE JE ME SENS IMPUISSANTE. J'AI COMME L'IMPRESSION QUE CE QUE JE DIS NE VA RIEN CHANGER, ET QUE CE QUE JE FAIS TOUS LES JOURS NE CHANGE RIEN. IL Y A TOUJOURS DES RACISTES, DES EXTRÉMISTES, DES CONS, MALGRÉ MES ARGUMENTS, MON LIBRE-ARBITRE, MON SOURIRE.



TOUT CE QUE JE LIS DÉCRÈTE « IL FAUT », « IL Y A », « IL FAUT », « NOUS DEVONS », « IL FAUT ». MOI JE NE SAIS PAS CE QU'IL FAUT FAIRE. JE NE SAIS PAS CE QU'IL SE PASSE ET J'AI TRÈS PEUR DE PARLER POUR TOUT LE MONDE. MAIS JE VEUX FAIRE QUELQUE CHOSE, ET POUR ÇA IL FAUT QUE NOUS FASSIONS QUELQUE CHOSE. Quelque chose de significatif, pas seulement quelque chose de signifiant. 


vendredi 2 octobre 2015

L'histoire de Serge

SERGE 


              Serge est un vieil homme de 70 ans. Sa routine du soir est bien limée : une fois ses pantoufles aux pieds, il attend dans sa cuisine que l'eau chauffe, patiemment. Lorsque la bouilloire siffle, il se lève en traînant les pieds, à son rythme, doucement, car son mal de dos l'empêche depuis longtemps d'être empressé. De toute façon, ce n'est pas son truc, l'empressement. Avec précaution, il verse l'eau chaude dans sa tasse, la même que tous les soirs ; avec toujours deux cuillères de toujours la même tisane, et toujours un petit cachet d'aspartame. Dans un bocal, il prend une papillote dont l'emballage rutilant promet un moment de fête ; il pose le tout sur un petit plateau où se trouve déjà sa serviette en tissu dans son rond de serviette.

Son appartement est celui d'un vieil homme des années 1950, au papier peint défraîchi, aux couleurs brunâtres, au parquet qui grince sous la moquette. Dans son salon trône un énorme fauteuil qui a déjà la forme affaissée de Serge. Avant de s'y installer, il prend une couverture délicatement pliée et la déplie avec soin sur ses genoux.
Une fois bien installé, son plateau sur les genoux, sa serviette autour du cou, il saisit la télécommande posée sur l'accoudoir et allume, enfin, la télévision. Il y voit une émission au cours de laquelle les participants, des anonymes choisis dans le public, se font hypnotiser par une femme en tailleur. Elle est très avenante avec les sujets de son expérience, cherchant à les mettre à l'aise grâce à sa voix veloutée ; le public rit en chœur.
Serge, en savourant son chocolat, se laisse happer par le programme ; les lumières bleutées de l'écran se reflètent sur son visage et ses yeux, pénétrés de cette même lumière, se font de plus en plus fatigués. La voix de l'hypnotiseuse semble désormais être dans la pièce. Elle tutoie son sujet : « Où es-tu ? Crois-tu que tu sois en train de dormir ? … Tu dois venir avec moi, maintenant. Ferme tes yeux. »

Lorsque Serge rouvre ses yeux, des lumières qui percent l'obscurité du plafond l'éblouissent ; sur les cotés, il voit des taches de toutes les couleurs ; enfin devant lui, avançant sur un sol blanc très lumineux, il distingue la femme en tailleur. Elle lui sourit, puis le félicite. Les taches de toutes les couleurs applaudissent ; la musique vrombit et les rais de lumière floue qui tombent du plafond parcourent le studio dans tous les sens. Serge sourit et retourne s’asseoir dans le public comme le lui demande la voix de velours. Il regarde autour de lui : la tache magenta à sa gauche est une jeune femme blonde qui rit aux éclats. A sa droite, un homme à oreillette fait de grands gestes vers lui, sa voisine et tous les autres que Serge devine derrière lui. Un autre homme à oreillette, plus âgé, passe derrière son collègue et s'enfonce dans un tunnel sous le public. Sans hésiter, Serge le suit derrière une première porte à battants qui donne sur une seconde porte, comme à l'entrée des salles de cinéma. Il pousse lourdement cette seconde porte.

Il se retrouve alors sur le plateau d'un jeu télévisé ; un autre homme à oreillette le presse jusqu'à son pupitre. Immédiatement, un présentateur au sourire carnassier lui pose sans s'arrêter des questions sans rapport les unes aux autres, des questions auxquelles il a rarement la réponse, et d'ailleurs dont il se fiche de connaître la réponse, tout comme le présentateur qui débite sans attendre la conclusion de la manche : victoire, ou défaite peut-être puisque la douche de lumière de son pupitre s'éteint brusquement dans un brouhaha de musique et d'applaudissements. Serge est encore poussé par l'homme à l'oreillette qui lui désigne la femme à oreillette qu'il doit rejoindre dans les coulisses, à quelques pas, derrière le décor, entre les caméras plongées dans l'obscurité et les énormes enceintes qui n'en finissent plus de chanter. Lorsqu'il passe derrière la façade du décor peint, il s'aperçoit avec surprise que ce ne sont que d'immenses et fines planches de bois, derrière lesquelles s'entassent fils, câbles et candidats au grand prix. Évidemment, la jeune femme à oreillette à disparu. Il s'enfonce dans ces coulisses, en tentant de contourner l'amas de candidats survoltés qui sourient, se maquillent, se lèvent et s'assoient, s'embrassent et se poussent. Cherchant toujours la sortie, Serge passe derrière un des rideaux de velours noir qui encerclent le studio.

Derrière ce rideau, il trouve le décor d'un salon ; ou plutôt, un salon qui semble être celui d'une vraie maison, mais décoré par des meubles en plastique bon marché, aux couleurs criardes et au design discutable, éclairés par de nombreux néons blancs et colorés. Il ne trouve personne dans ce grand salon, ni dans la cuisine ouverte à côté. Finalement, il entend des cris aigus et aperçoit derrière une grande baie vitrée des lumières, des couleurs et même ce qui semble être des gens qui dansent. Il sort donc sous la nuit noire dans le jardin, assez vaste mais clos par de grands murs blancs sans fenêtres. Les personnes qu'il a aperçues sont une dizaine, groupées autour d'une piscine à l'eau d'un turquoise lumineux. Elles dansent avec ostentation, se parlent en criant, tantôt en riant, tantôt en pleurant. Serge pensent qu'elles sont sous l'emprise de l'alcool, et il en sent lui même les effets : il voit double ; deux femmes aux longs cheveux bruns qui portent la même robe blanche s'accrochent l'une à l'autre. L'une d'elle s'écrie avec une voix stridente : « Un nouvel habitaaant ! » puis, après un rire, le répète encore plus fort et plus aigu. Les « habitants » se pressent autour de lui dans un vacarme de voix aiguës qui lui donnent le tournis. Il croit voir toujours les mêmes visages s'adresser à lui, voit des cheveux, entend des rires mais ne distingue plus les individus qui l'entourent et le poussent. Soudain, dans un déluge de rires et de cris, Serge se sent tomber en arrière dans un grand bruit d'eau, qui se transforme en bruit de verre brisé.


Serge se réveille, dans son fauteuil, en sueur : sa télévision a disparu et sa porte-fenêtre est cassée ; il entend encore les voleurs rire de leur méfait dans leur course. 


Imaginé à partir du fait-divers suivant: "Rhône : il s'endort devant la télé et se la fait voler durant son sommeil."

mardi 25 août 2015

"Filmer le réel"?

"Filmer le réel", c'est voir avec ses yeux ; ne vous posez plus sans cesse la question, putain

mardi 9 juin 2015

Écriture automatique 3° À quoi pensent ces gens ?

/2jours/2nuits/

À quoi pensent ces gens ?

À quoi pensent-ils, ces gens qui attendent leur métro ? Est-ce qu'ils pensent à la beauté du monde, à ces innombrables formes de vers qui forment des flaques et des reflets sur le sol ? Est-ce qu'ils pensent à toutes les capacités de création qu'on a aujourd'hui ? Est-ce qu'ils pensent à la masse, à l'état de la société aujourd'hui ? Est-ce qu'ils pensent qu'on est foutus, est-ce qu'ils pensent qu'il y a de l'espoir ou est-ce qu'ils s'en foutent ? Est-ce qu'ils évitent de penser en jouant sur leur portable ou est-ce qu'ils n'ont jamais pensé ? Est-ce qu'ils vont loin avec tous ces sacs ou est-ce qu'ils font ce même trajet tous les jours les mains dans les poches ? Est-ce qu'ils y rencontrent d'autres personnes ou se contentent d'égayer leur trajet en se forçant à parler avec des connaissances ? Est-ce qu'ils ne se forcent plus, lorsqu'ils ne font que les saluer pour s'arrêter à distance ? Est-ce qu'ils sont en attente, pressés, ou est-ce qu'ils prennent le temps de savoir où ils sont ? Est-ce qu'ils savent où ils vont ou est-ce qu'ils se sont trompés de ligne ? Est-ce qu'ils aiment ce qu'ils voient ou est-ce qu'ils aimeraient être ailleurs ? Est-ce qu'ils pensent qu'ils sont là ? Est-ce qu'ils croient en l'arrivée, est-ce qu'ils croient en l'au-delà ? Est-ce qu'ils aiment ? Est-ce qu'ils sont en attente ? Est-ce qu'ils souffrent ? Est-ce qu'ils savent pourquoi ils sont là ? 

Est-ce qu'ils ont peur de ce qui est à venir ou est-ce qu'ils avancent dans ce tunnel à une issue sans égard pour l'issue? 

À quoi pensent ces gens ? qui dansent, qui se draguent, qui s'exercent, qui se passent. Ont-ils à venir ou sont-ils somnambules ? 
Soudain certaines cordes se crispent et retentissent les sonorités acquittées, dépassées. Certains errent, sautent et tournent. 
Personne n'attend. 
Comme ils veulent être là, tous

Les vieux rituels reprennent. Le spectacle change de costume, et les spectateurs s'échauffent ou crient. 
Qu'est-ce qu'ils racontent, ces gens qui jouent en ligne ? Asie qui a rejoint l'Afrique par l'Europe. Les plans sont successifs. 
J'ai besoin du feu, moi, j'ai besoin des montagnes pour arrêter le vent. Certains sont seuls et entourés. Le vent les traverse quand ils tourbillonnent. Ils reviennent de front, ravivés. Émoustillés. 

Il me faut du feu, du feu et la braise. 


Gaz de France, de Benoît Forgeard


Présenté en Programmation Officielle de l’ACID au Festival de Cannes 2015.




Les petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes?



Moi non plus, à l'origine, le titre de ce film, présenté discrètement au petit Studio 13 du Festival de Cannes, ne me disait pas trop. Mais il ne faut surtout pas s'y fier: Gaz de France n'est ni un film de propagande d'EDF-GDF pour faire passer son nouveau jeu de mot "Engie", ni un pamphlet anti-gaz de schiste. Il est presque plus proche de la comédie musicale, puisque le scénario se base sur le succès de la chanson "La rigueur en chantant" qui a amené le président Bird au pouvoir. Joué par Philippe Katerine, le Président français tente désespérément de répondre aux questions de "La Française parmi les Français" - émission spéciale organisée par son équipe de communication pour tenter de le remettre à flots... en chantant "Je ne sais pas... je n'en sais rien..." d'un air lancinant. Dernier recours pour Michel Battement, bras droit du président Bird: un brain-storming avec des Français aux "profils atypiques". En matière d'atypisme, ils sont servis: une représentante du Parti des Enfants, un spécialiste des mythes africains et des chats, une journaliste 2.0, le Maire de Saint-Dizier, un expert en nano-technologies et sciences en tous genres et l'assistant post-adolescent qui les a recrutés.



Réunis dans la salle Chirac, au premier sous-sol de l'Elysée, les participants à ce huis-clos sont enjoints à proposer leurs idées pour sauver le président Bird, aussi désespérement que le soldat Ryan. On s'attend à ce que l'équipe de bras cassés descende jusqu'au trente-sixième sous-sol, en voulant traiter avec autant d'inefficacité cette situation désespérée; mais heureusement, ils n'iront que jusqu'au troisième sous-sol, dans la réplique du bureau présidentiel, avec vue sur une mer pixellisée, le soleil coulant son reflet dans la mer rosâtre.
Chaque séquence formule une proposition qui semble, à première vue, avancer vers le dénouement; mais qui finalement n'est qu'un noeud marin de plus dans cet imbroglio. "Il faut couler Bird", finissent alors par s'accorder les profils atypiques, lorsqu'ils s'aperçoivent que tous ces noeuds autour du gouvernail sont indéfectibles. Le scénario prend alors une autre tournure: un complot se fomente derrière les vieux cartons des anciens présidents. Le spectateur croit pouvoir suivre le film en suivant cette intention des personnages ; mais évidemment, Benoît Forgeard prend les attentes du spectateur à rebrousse poil et interviennent les Birds siffleurs, la révolution, le coup d'Etat. Ces situations, de plus en plus absurdes, sont jouées et filmées avec le plus grand sérieux, à notre plus grand bonheur qui voyons ces personnages pédaler dans la choucroute avec Engie énergie. Le bateau prend l’eau, inévitablement - pourtant, les décors réalisés avec soin sont impeccables et délicieusement mystérieux. On s’imagine l’Elysée comme un Titanic miniature, assailli par des oiseaux qui n’ont rien d’hitchcockien. Mais les références, elles aussi, sont fantasmées par le spectateur. Benoît Forgeard s’amuse, délire, sans jamais chercher à se justifier ou à s’inscrire dans une quelconque lignée: l’objet qu’il a conçu est non-identifié et vogue très bien tout seul. La musique de Bertrand Burgalat est parfaite pour bercer ces flots; elle est, comme eux, électrique et vaporeuse.



Ce grand mélange qui part dans tous les sens, avec la plus grande maîtrise et le plus grand sérieux, est le même dans les dialogues, portés par des acteurs formidables (Philippe Katerine, mais aussi Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jean-Luc Vincent…). Les conclusions qu'ils tirent de leurs péripéties sont pleines de sous-textes, parfois politiquement incorrects. On s’autorise à rire de la pédophilie, du rationnement, de la guerre atomique, de l’exploitation sexuelle, du communisme, de Saint-Dizier, du clafoutis; enfin, de tout, tant que la salle y consent. Pour faire clair, je ne me suis jamais sentie aussi bien dans une salle de cinéma; et ce n’est pas grâce au confort des fauteuils. On embarque sans problème sur le bateau de ce mec en imper Kalenji; en plus, il m’est bien sympathique.



jeudi 28 mai 2015

Écriture automatique 2°

28/05/2015/09:49/10:01/

Sourire enfantin n'est pas [recluant] ; si jamais j'ai trouvé ce qu'il faut je formerai la vie à ce qui m'est précieux. Le cinéma sans peur s'ouvre dans la terreur; il arrive, il est là, terrain de la foule et des amants, là où le tragique est ridicule et le dramatique flambant. Souriez, enfants, vous l'êtes encore, à moins que vous ne gratifiez de ce titre que les chèvres qui s'oublient. Jour d'artifice quand le feu foule la terre, quand ce qui brûle fait la lumière et que la lumière fait l'ombre. 
"Jamais je n'ai" revient encore mais je refuse - encore négativement- d'avancer sur ce chemin. 
Ce qu'il faut oublier, c'est l'erreur que la fenêtre laisse passer comme un courant d'air, croire que tout est aléatoire alors que ce que tu veux tu l'auras puisque ce que tu as tu l'as voulu. Il n'y a pas de destinée mais ce qui s'ouvre à toi c'est le possible, et le choix du possible c'est ce qui te brûle. J'ai rarement perdu. 

Évite ces cris qui t'enferment, te conditionnent et cherchent à mettre en toi le moteur qui les fait tourner en rond. J'ai du mal à croire que soudain il faille céder, s'essayer à être soumis, se dessiner selon ce sang qui se croit conscient mais qui n'est que consenti. 
Furieux. Perte. Sors de là vieux fou, ton image ne me fait pas peur, tu n'es qu'un personnage que tu as pris l'habitude de jouer, et tu aimerais que tous nous jouions ta pièce avec toi - mais c'est un solliloque. Va t'enfermer là où tu es intègre c'est-à-dire nulle part où j'existe - il y a bien des endroits où je n'existe pas et où je n'ai pas envie d'être. 
Souriez maintenant que vous êtes sans lui, tranquillité, effacez ce qui ne va pas car c'était du passé avant même de vous torturer. Tout cela est passé. 

mardi 26 mai 2015

Notre Petite Soeur, de Hirokazu Kore-Eda

Présenté en Compétition Officielle du Festival de Cannes 2015
Date de sortie en France : 28 octobre 2015


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Trois sœurs se rendent à l'enterrement de leur père, qu'elles n'ont pas vu depuis plus de dix ans. Elles y rencontrent leur demi-sœur de quatorze ans, Suzu. Sachi, l'aînée,  prend la responsabilité de l'accueillir dans la maison familiale, comme elle l'a fait en élevant ses deux sœurs après l'abandon de leur mère. Avec elles, Suzu va se mettre à vivre et à grandir en commençant par être enfin une enfant. La famille qui s'est dénouée lors du départ du père, puis de la mère, se reconstruit pas à pas sur les épaules solides de ces quatre sœurs.


On pourrait dire avec simplicité que Notre Petite Sœur est un film sur le deuil, mais c'est autant un film sur la famille, sur la séparation, sur la maladie, sur la relation difficile aux parents, sur l'acceptation... Les pistes de sens sont multiples et diverses, distillées dans chaque séquence; certaines restent en suspens, certaines posent des questions, d'autres se profilent et se creusent plus profondément. Construit autour de quatre personnages féminins, le sens que poursuivent parallèlement chacune de ces figures est celle de la maturité. Chacune à leur âge, ces femmes se questionnent sur leur rôle dans leurs relations familiales et amoureuses: quelles responsabilités doivent-elles assumer ?


Dans cette histoire de famille, où les circonstances placent les enfants dans des rôles d'adultes, les personnages de la soeur aînée et de la benjamine se dessinent en miroir. La première a pris en charge très jeune ses autres soeurs et les a élevées sans mère ni père à leurs cotés; elle est devenue adulte bien trop tôt et, à près de trente ans, son amant lui dit encore qu'elle est "trop adulte". Elle accepte avec force de "n'avoir pas eu d'enfance"; mais lorsqu'elle reconnaît chez Suzu cette même responsabilité lourde que posent les adultes épuisés sur les épaules d'un enfant, elle refuse de laisser arriver trop vite ce basculement. Tout cela est esquissé dans la séquence des funérailles du père: alors que la belle-mère de Suzu demande à la jeune fille de prononcer le discours d'adieu, Sachi refuse qu'une enfant prenne cette responsabilité. Nous sommes encore au tout début du film, et ce geste peut apparaître au spectateur comme de la jalousie; mais peu à peu, on se rend compte de la subtilité de ce geste de protection. L'aînée a reconnu chez Suzu le poids des responsabilités et veut l'en préserver, car elle sait trop bien ce que c'est que d'être adulte trop tôt.


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Suzu, c'est elle, notre petite soeur, et c'est elle qui passe par les transformations de l'adulte à l'enfant. Malgré son costume d'écolière, au début, elle prend en charge un rôle d'adulte: elle s'occupe de l'enfant de sa belle-mère, qui la considère capable de prononcer le discours d'adieu à son père, et on découvre que c'est elle qui a joué le rôle de garde-malade auprès de son père, avant sa mort. Son rôle d'adulte décline enfin lors de la première séquence de "paysage", lorsqu'elle emmène ses soeurs à l'endroit où elle allait avec son père. Ce moment, c'est leur première véritable rencontre; c'est là qu'elles se situent elles-mêmes dans la même famille, les aînées remerciant Suzu de s'être occupée de leur père à l'hôpital. Ces répliques peuvent sembler convenues, les trois soeurs en plan rapproché répétant "merci" en regardant Suzu au centre du cadre, qui ne répond pas. Pourtant, cette séquence est d'une incroyable justesse. Le jeu de la jeune actrice Suzu Hirose est tout en retenue, mais son regard, à moitié sur l'horizon, à moitié avec ses soeurs, porte en lui toute l'émotion des épreuves qu'a traversées la garde malade et pour lesquelles on lui est désormais, enfin, reconnaissant. Cette reconnaissance est nécessaire pour donner à Suzu sa liberté d'enfant, elle est un soulagement pour elle comme pour ses soeurs, elle est l'évacuation d'un fardeau longtemps supporté.


Après cela, Suzu peut enfin jouir d'une vie insouciante, puisque ce sont ses sœurs qui endossent les principales responsabilités. Elle s'intègre dans une nouvelle école, dans l'équipe de football, se fait de nouveaux amis... Mais en filigrane, son trouble persiste, et une autre séquence de paysage est nécessaire pour dénouer son malaise. Cette fois-ci, c'est Sachi qui emmène Suzu voir un endroit qui lui rappelle leur père, et là encore, la séquence est un soulagement nécessaire. C'est là que Suzu accepte enfin en conscience la colère qu'elle a toujours tue, ce pourquoi elle est partie habiter chez ses soeurs. A travers la colère qu'elle exprime contre sa mère ("Maman est une imbécile!", crie-t-elle), on entrevoit déjà son sentiment de culpabilité, la réprobation morale qui la torture, elle qui est le résultat de cette relation adultère qu'elle réprouve. Ses larmes arrivent enfin, ces larmes que le spectateur a longtemps attendu lorsque Suzu était sous le poids de la responsabilité. Lorsqu'elles font enfin surface, ce sont celles d'une enfant. Elles coulent en toute sobriété, avec une mesure qui nous éloigne de la tragédie et nous rapproche de ce moment de tension et d'union à la fois, puisque dans cette séquence, Suzu s'unit intimement avec sa soeur aînée en même temps qu'elles se séparent chacune de leurs parents. Si cette scène peu paraître niaise ou cliché, elle est pourtant assez forte pour n'être pas simpliste; elle contient toutes les contradictions des enfants qui désapprouvent les actes de leurs parents, mais pourtant les aiment, et l'importance de la séparation pour se laisser aller de l'avant, sans simplifier les enjeux de l'acceptation.


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L'équilibre qui imbibe ces séquences régit toute la mise en scène du film. Chaque image est composée comme la sérénité en action: les plans, très souvent immobiles, ne sont jamais totalement fixes, ils flottent dans un très léger mouvement fluide, comme si le flux de vie, de temps et d'émotion qui traverse les personnages ne suffisait jamais à ébranler cette stabilité. A l'image de cet équilibre, les cadres ne sont jamais surchargés ni trop rapprochés, et baignent dans une lumière douce et voilée. Si l'on n'avait qu'un mot pour définir Notre Petite Soeur, ce serait l'élégance, qui se retrouve aussi dans le scénario, développé en une cadence valsée ; dans le jeu des actrices, extrêmement subtil mais honnête et empathique; dans les relations des personnages, toujours tendues sur un fil, mais qui restent solides. Élégance aussi de la mise en scène de la société japonaise contemporaine, qui est encore traditionnelle par culture, mais qui devient une culture très personnelle, avec des rituels liés davantage à la famille qu'à l'Histoire: les kimonos sont ceux des grand-mères, la liqueur de prune est une tradition familiale... Notre Petite Soeur incarne donc à la fois une émotion si particulière à ses personnages et la grandeur de sentiments universels, le tout avec une élégance distinguée et légère; car le film ne manque pas d'une touche d'humour. Le deuil de l'enfance n'est ni une fatalité ni une renonciation chez Kore-Eda; tout ici est passage et acceptation, à l'image du tunnel de fleur de cerisiers: on le traverse au bon moment, mais bientôt les fleurs commenceront à tomber; jusqu'à la prochaine fois.

dimanche 10 mai 2015

Tempelhof


Voici un court-métrage que j'ai réalisé cet été, de passage à Berlin dans l'aéroport désaffecté de Tempelhof. Nous nous sommes soudain dit: "Ce serait un endroit génial pour faire un film..!" et j'ai proposé que l'on improvise un petit court-métrage. Après un rapide story-board, nous avons commencé à tourner; mais mes acteurs amateurs n'étaient pas très motivés pour un tournage qui commençait à durer... Plusieurs plans prévus n'ont donc pas été tournés, ce qui donne cette atmosphère... "elliptique". 
Les critiques sont les bienvenues, et si ça vous a plu, n'hésitez pas à le partager!

vendredi 24 avril 2015

Custom Knight Rider Blinded By The Lights

Voici ton itinéraire:


  • Tu prends une machine à voyager dans le temps de base ...
  • Tu te remémores cette nuit.
  • Tu tease un monde étrange où les rebelles sont cachés...
  • Puis perds le contrôle de la boîte boîte boîte de vitesse j'm'arrête pas
  • Tu pars en musique.
  • T'évolue en musique. 
  • Puis... tu voles soudainement de l'autre côté de l'Atlantique par amour qui se perpétue et souris.
  • Atterris aux Etats-Unis dans ce monde étrange.
  • Dogpound.







1:03/J'chante comme une truite?!/

Dog Pound. 


mardi 31 mars 2015

Écriture automatique 1°

30/03/2015/15:48/16:16


- La choucroute empaffée -


          C'est l'histoire d'une vieille dame si bien échafaudée qu'elle n'entrait pas les portes, ni les encadrements. Jamais elle n'a trouvé une queue de souris, ni identifié des mécanismes génétiques. Ce qu'elle faisait, tout simplement, c'était tremper le manteau de son mari dans la cire et le mettre au micro-onde. Peu de choses la retenaient sur cette Terre, si ce n'est l'horrible tarentule qui gisait dans le tiroir, et hormis sa fille au pair qui s'occupait de son chien, Mimine. Elle gardait peu ou prou tous ses sachets de thé, bien qu'elle ne sût pas ce qui se passerait lorsqu'une bombe atomique exploserait au dessus du cratère de ses désirs. Pour l'instant, elle riait seule ou avec son mari, quand elle n'était pas pressée d'aller s'ouvrir à la cagnotte de la semaine, à livre ouvert. Certes, elle se fourvoyait rarement quant aux conséquences du tort couplé à autrui, mais rien ne l'obligeait non plus à trouver la parade effarante à une telle expérience. Peu de choses la retenaient en ce monde. Sacré comme un caporal, son mari la voyait s’accommoder au Maggi-Kub, enturbannée entre soupe et liqueur. Que devait-elle penser de tous ces écrits produits sur le coin du comptoir, hors du monde mais forts d'une ignorance protégée ? Rien n'était plus vide – qu'elle même. Sortie à l'aéroport, elle couvrait le feu. Une fois rentrée, elle pestait sur Mimine qui n'avait d'aise que sur ses genoux. A quoi bon ouvrir la gueule si c'était pour crever dans le désert ? Rien ne l'intéressait plus que former au point de croix deux ou trois de ses amis qui l'attendaient là, sur le seuil. Ce seuil, c'est le divorce ; l'incroyable force des orteils brisés, les branches écartées d'une brochette mutilée. Faire fi de ce foisonnement s'oublie sitôt qu'il n'y aura jamais de rencontre réelle entre la forme des choses et celle-ci. Tout ce qui sort de ce conflit c'est des larmes. Mais elle était forte de ce qu'on lui avait interdit, dans un refus effronté de l'embrassement qu'on lui proposait, préférant l'embrasement des consciences qu'on ne lui a jamais demandées. Seule, elle gardait Mimine à ses pieds, après avoir jeté son mari dehors. Il criait à la fenêtre qu'il ne la marierait jamais, la monte-en-l'air. Peu de choses la retenaient désormais. Rien que l'oubli, si ce n'était ces petites flaques, rougeâtres et formidables, éclatantes hors de cet amas opaque. 
Elle n'échappait pas à ces courbatures qui perdraient du sens sitôt qu'elle se serait envolée. Pourvue de son couvre-chef, elle regardait Mimine en parlant d'abricots, elle était foutue. Bien loin de là on s'effritait, s'aiguisait, s'écharpait en fils de nylon écrasants. Peu, peu, si peu de choses. 
Fourbue, elle sortit enfin pour clamser dans le noir. Mais là encore, l'inquiétude la retenait, fière et dépassée, perdue autant qu'elle savait se repérer sur une carte. Chère à son cœur, elle souhaitait que sa sœur fit avec elle un grand pas ; mais elle se souvint qu'elle n'en avait pas. Pire, c'était Mimine qui était là, jappant, fermant sa gueule. Elle aperçut Pierre Olivier Cardin, qu'elle laissa passer sur son tapis roulant avant de le chevaucher pour se retrouver de l'autre côté. Elle s'était nourrie toutes ces années et prenait maintenant les devants. Elle perdait la foi. Elle formulait si peu ce qu'on aime qu'elle sortait par bien des aspects de l'ordre auquel on était contemplativement cantonné. Certes, elle souffrait, mais il y avait Mimine, qui jappait et fermait sa gueule.


lundi 23 mars 2015

Ceci n'est pas une caricature


Un dessin que j'ai fait en mai dernier, après les élections européennes. En regardant les résultats, j'avais pleuré. Ce matin, en écoutant les résultats des élections départementales, ça a recommencé. Comment imaginer que des individus qui provoquent ces réactions de désespoir, de colère, d'indignation, de mépris, aient la moindre prétention à représenter la France?

Il faut dire et répéter que le FN ne fait pas de la politique; ils font du marketing. Ils font de la démagogie, ils font de l'auto-promotion, ils font la guerre à tout ce qui ne leur ressemble pas; ils font du marketing.

Pfff...

J'ai peur pour la suite, j'ai peur pour la France et j'ai peur pour la planète qu'il faudra partager si de pareilles personnes parviennent au pouvoir.

Pfff...


mardi 10 février 2015

Ibrahim Maalouf - Au Pays d'Alice

Depuis quelques temps, j'explore petit à petit l'univers de ce trompettiste - compositeur - chef d'orchestre; en fait artiste fabuleux qu'est Ibrahim Maalouf. C'est seulement hier soir que je m'aperçois qu'il a sorti il y a quelques mois déjà l'album Au pays d'Alice. C'était le coup de maître qu'il fallait pour l'introduire ici. 
D'autant plus que nous venons de rater les concerts donnés à la toute nouvelle Philharmonie de Paris.


Le concept de l'album lui-même, sur le papier, me promettait déjà monts et merveilles: une adaptation du roman de Lewis Caroll en musique, composée par Ibrahim Maalouf et racontée par Oxmo Puccino. Deux artistes inspirés, passionnés, intelligents. Ils font partie "d’un groupe de gens libres. Des gens de la télé, des gens du cinéma, des gens de la musique... Ce sont des personnes sans aucune barrière, autant artistiques que sociales. Des personnes qui vont créer sans se poser de questions limitatives, mais avec beaucoup de respect pour les choses qui ont été faites avant. L’envie de connaître des choses, de se cultiver pour ensuite disposer d'éléments et en faire quelque chose d'inédit. " *

Chute chute chute musicale littérale phénoménale


L'album regorge d'idées, de gimmicks, de groove et d'impros toutes bien pesées; le rôle du chœur (la maîtrise de Radio France) surtout, m'a agréablement surprise. Il fait l'essence de l'atmosphère, le prénom, le point d'orgue de l'album. Oxmo Puccino, poète, conteur, chanteur, révélateur, surprend toujours et encore. Ibrahim Maalouf sue et s'amuse à soulever tous ces instruments aux nues. 


Pour finir de me convaincre, le clip sorti pour le morceau "La Porte Bonheur" est un bijou d'artistes - je ne trouve toujours pas de meilleur mot pour les sacrer. Une animation rotoscopique ** fluorescente transforme Oxmo en hibou - chat de Cheshire et Ibrahim en troubadour envoûté et envoûtant. La musicalité et l'inventivité de l'animation suffisent à me fasciner.


Je crois que je n'ai pas tellement besoin d'en dire plus, il vous suffira d'écouter.

Et cerise sur ce délice: humour et autodérision.


* Ibrahim Maalouf dans l'interview de Matthieu Amaré.
** Sur la rotoscopie : A Scanner Darkly et Cool World (de Ralph Bakshi).

mercredi 28 janvier 2015

Récupération politique

Débuté initialement le 14 janvier 2015.

Malgré tous les appels à l'"unité nationale", à la solidarité, à la fraternité, à la tolérance... il y a encore des con* pour tourner tous les discours, dans un imbroglio démagogique, à leur petite personne. S'exclure en affirmant vouloir soutenir. Insérer, au coin d'une phrase, son grain de sel dans la machine.
"Devant tant de violence, de haine et de peur, on a tous des pulsions de violence; c'est pourquoi la peine de mort me paraît une bonne idée pour nous épancher." semble-t-elle dire; comme si la mort des coupables rachetait la mort des innocents; comme si davantage de violence pouvait punir la violence; comme si la vengeance constituait une forme de jugement; comme si nous étions encore au XVIIème siècle, en pleine inquisition culturelle.


    Sauf que pour un croyant (et surtout un djihadiste), mourir en pensant aller au paradis, ce n'est pas une punition, au contraire. Et pour un athée, mourir, c'est juste la fin. C'est bien moindre que d'avoir à faire son mea culpa dans une cellule en subissant le jugement moral de la société. Enfin, je ne tiens pas à expliquer une fois de plus la bêtise que constitue la peine de mort. Je dis qu'en apprenant la mort des trois terroristes, lorsque le périmètre de sécurité a été rouvert, enfin sortie de ce confinement angoissant, j'ai eu des larmes aux yeux. Cette issue, je l'ai ressentie comme un drame, tout en sachant que c'était inévitable. Je ne sais pas si je dois dire que personne ne mérite de mourir. Mais ce qui est sûr c'est que la justice ne devrait avoir à tuer personne. Que l'Etat français se soit retrouvé obligé d'abattre ces deux hommes, soit. Mais cela nous mets dans une position de bourreau à notre tour, bien loin du pays 
(scriptolapsus: j'ai écrit paix)
bien loin du pays de justice, de droit et de démocratie dont on rêve. Moi, cela me fait me questionner sur cette légitimité occidentale qu'on impose, qu'on ne discute pas. A quel titre? Cette crise a été "gérée" tant bien que mal; certainement aussi bien menée à son terme. Mais quel terme. 



vendredi 23 janvier 2015

The Smell of Us, de Larry Clark

Dans Nymphomaniac, dans La Vie d'Adèle, dans Spring Breakers, la sexualité filmée ne m'a pas gênée; elle ne m'a pas choquée, ni dégoutée, ni gênée. Dans The Smell of Us, non seulement elle a fini par me gêner, mais elle m'a agacée et lassée. Voici pourquoi j'ai l'impression que Larry Clark se fout de notre gueule. 



Dans son ensemble, le film a l'air d'un patchwork de séquences, plus ou moins réussies, plus ou moins fortes, mais qui ne se soutiennent que fragilement les unes les autres. Comme un château de cartes raté, à un étage, ou une partie de mikado mal disposés. Autant que les fils narratifs, les divers personnages, qui tous ont quelque chose d'attirant et de complexe, sont abandonnés en route, sans suite. Que ce soit dû au remaniement spontané du scénario lors du tournage, à la place laissée à l'improvisation, à l'abandon des acteurs, peu importe; le film perd ses fils, qui à peine tissés sont déjà coupés. Pacman finit par être un vulgaire lâche qui poignarde les gens dans le dos. En un sens, Math, lui aussi, est un lâche; même lorsque repose sur lui le climax émotionnel et le potentiel dénouement du récit, il se dérobe, trop déphasé par l'alcool, la drogue et la honte.
Le réalisateur espère faire un film "sur", "dans le milieu de", mais les personnages ne sont même pas aboutis, ni individuellement ni en tant que collectif! JP et le cameraman sont peut-être les deux personnages dont les ficelles sont tirées un peu plus loin; le premier car on finit par entrer dans sa vie privée et ses sentiments sincères; le second parce qu'il n'est que secondaire justement; alter ego facile du réalisateur, voyeur par excellence.

Le film caractérise soit disant la façon dont Internet pervertit cette jeunesse. Apparemment, "le film parle de ça, de la façon dont Internet peut très facilement mettre ces ados en difficulté" (propos de Larry Clark dans un entretien à Quentin Grosset, dans Trois Couleurs). Ce n'est bien que dans une interview que Larry Clark peut évoquer cette intention... Chacun de ces jeunes est indépendant financièrement, et libre de sa pensée autant que de son corps; il n'est pas attiré dans des mailles inextricables; en tout cas, ce n'est pas ce qui nous est montré. En réalité, Internet n'est qu'un outil, il ne nous "met" pas "en difficulté". Oui nous baignons dans un monde pornographique, aux mœurs diverses, paradoxales, immorales selon certains. Nous BAIGNONS. Et on ne se noie pas. On sait nager.

Le film ne "parle" pas, il montre une jeunesse fantasmée et violée. Cette sexualisation outrancière de chaque élément, jusqu'à la serveuse qui fait valser ses coupes de champagne au profit d'un déhanché démesuré, m'a saoulée. Je vois de la fascination et des viols.

Je ne peux pas m'empêcher de penser aux acteurs, amateurs. "Ils ne réalisaient pas à quel point cela allait être difficile et n'étaient pas préparés psychologiquement à tenir ces rôles", nous dit le réalisateur...
Mais, mais, oserai-je dire que c'est ton boulot?! Préparer les acteurs, les diriger, leur permettre de se nourrir du film autant qu'ils le nourrissent, c'est ça le metteur en scène! Ce n'est pas poser un regard lubrique sur des jeunes avec qui tu ne peux pas communiquer, que tu traumatises, que tu pompes, que tu vampirises au nom de ton propre dégout de toi même..!

Les critiques ne cessent de parler d'un film sur la vieillesse, "la peur du déclin", "les corps flétris", un autoportrait du réalisateur en somme. Ce que je vois de cela, moi, c'est ce fantasme juvénile presque pervers, la hantise de la sexualité, l'objectivation du "jeune" comme corps. Mais les "jeunes" ne se résument pas à leur sexualité. L'impudeur, la mise en scène de soi, le porno, la provocation, la prostitution, la banalisation, la prise de risque, tout cela existe; mais tout cela ne constitue pas l'identité d'une génération, ni d'un groupe, ni d'un personnage. Sans parler du langage des skateurs, qui se veut authentique, mais qui n'est lui aussi, qu'un patchwork d'expressions diverses, de styles, de registres, de milieux et de contextes différents. Du contreplaqué.
Et puis, que dire de cette séquence finale... Cliché de violence, de pseudo défoulement adolescent, d'abandon des normes sociales et morales...  La mise en flammes d'une voiture immatriculée 94 me fend le cœur.

Voilà un billet d'humeur acerbe, fidèle au goût étrange que m'a laissé le film. Certes, tout n'est pas à jeter. Mais en fait, j'ai été déçue. N'ayant vu que son deuxième film, Another Day in Paradise, je ne peux adhérer à "la quintessence de tous les films et des thèmes fétiches de Larry Clark". Je me suis laissée charmer par les titres flatteurs des Cahiers du cinéma... et je sors avec l'impression de m'être fait avoir par un vieux lubrique qui a envoyé valser son film au profit d'intentions égocentrées.

Après avoir lu les différents articles des Cahiers, je m'aperçois que ce que ces critiques portent aux nues, c'est justement ce que je reproche au film. L'abandon du scénario comme rejet du normalisme; soit. Le défilé des différents acteurs et personnages comme une "interchangeabilité vertigineuse" pour "révéler l'universalité"; soit. L’idolâtrie des corps comme une esthétisation de corps divins; soit. La reconstruction toute personnelle de Paris et de ses "jeunes" comme une "profonde honnêteté dans ce regard" et parangon de la modernité; soit.
Mais en effet, "ce qui est en jeu avec ce film c'est une idée du cinéma." Mon idée à moi est celle d'un cinéma qui s'adresse à son spectateur, qui l'emporte avec lui, qui l'introduit dans son monde, qui lui ménage une place voire un rôle;  un cinéma qui certes s'affranchit des normes conventionnelles mais pour les transcender sans forcément les mépriser; un cinéma à l'esthétique sensible, ouverte, évolutive; un cinéma qui n'affirme pas "Je suis un bon film, et je vous emmerde."

dimanche 18 janvier 2015

Le moment M.



Imagine que les Grecs sont à la fin d'un cycle d'une humanité, et que cette civilisation avait atteint le niveau de progrès optimal à son cycle. L'humanité a progressé d'ère en ère, jusqu'à eux, couronnement du cycle en cours, prêts à l'extinction..

Nous sommes aujourd'hui à ce même stade de progrès, ayant entériné les évolutions techniques, philosophiques et morales du cycle précédent. Le progrès a atteint son sommet - son stade optimal.


C'est. Maintenant. La Fin. D'un cycle.


La fin de notre civilisation. Ce cycle s'effondre sur lui-même pour laisser le terreau d'un nouveau germe.


Nous sommes.

Une humanité.


Serait-ce la religion, qui fait naître et mourir ces cycles d'humanité ? 

L'homo habilis comme début d'un nouveau, avant eux la fin des dinosaures. Les cycles vont ils en s'accourcissant? Les dinosaures ne vivaient pas à la même échelle temporelle, ni même physique, semble-t-il, que nous. 


Nous sommes la fin.

D'une humanité.



jeudi 8 janvier 2015

Liberté.



Que dire ?
Que la liberté d'expression ne peut être ni bâillonnée, ni tuée ?


Est-ce que les médias nous effrayent ? A-t-on raison de tirer sans preuves des liens entre différents actes de violence ? Faut-il avoir peur ? Faut-il avoir la haine ? Faut-il se taire ?


Je ne veux pas avoir peur, je ne veux pas lancer d'accusations, je ne veux pas me taire. Mais je ne ressens que de l'indignation, de l'horreur, du désespoir. Je n'arrive pas à trouver une quelconque logique. Je n'arrive pas à comprendre ce que le monde veut pour lui-même. Le pouvoir ?
C'est l'amour putain. Je viens de lire Le Chant d'Apollon d'Osamu Tezuka ; le récit est simpliste mais le message est là : c'est l'amour. C'est l'amour qu'on veut tous, que l'on cherche, pour lequel on souffre. On ne peut pas accepter de souffrir pour la haine.  

" Le silence, c'est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs, et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs. " Tahar Djaout





samedi 3 janvier 2015

Quelques grandes choses pour voir le monde pour la première fois.

Si vous avez au moins une heure à m'accorder, soyez prêts. (et en plein écran.)

D'abord, Logorama, le court-métrage d'animation français de 2009 primé aux Césars, aux Oscars, et dans le monde.
Notre monde.

Par la même boite de production:

Puis, après cette transition évocatrice, entrons dans le vif du sujet.


Koyaanisqatsi

Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio, musique de Philip Glass et image de Ron Fricke. A voir en entier.

Avez vous vu les puits de pétrole qui s'effondrent, les gratte-ciels, les fusées?

Et enfin, pour réaliser le monde que vous venez de voir:

Bon voyage ?

Bonne année.



Merci, j'suis détendue.

vendredi 2 janvier 2015

Gone Girl, de David Fincher



J'ai écrit ce papier à peine rentrée chez moi, juste après la séance, dans l'euphorie la plus complète. J'ai dansé dans l’ascenseur de joie d'avoir vu ce film, d'avoir vécu ce film, d'y avoir réagi, d'avoir été embarquée comme ça. Euphorie du cinéma.

Ce scénario - ce scénario! - (comme le spectateur) est mené d'un bout à l'autre sans jamais s'arrêter ; les retournements sont phénoménaux et toujours inattendus, et produisent encore plus de surprise que l'on croit. Comme des tours de magie: on sait qu'il va se passer quelque chose, mais on ne sait pas quand, ni comment, ni pourquoi; et finalement, on est impressionné même si on aperçoit la machinerie dans les coulisses.

Je n'ai pas "vu" les acteurs ; sauf peut être Niel Patrick Harris tellement son personnage (Desi) est fictionnel, filmique. Il a un rôle presque de comédie: l'emmerdeur niais, qui s'incruste et complique la situation en croyant bien faire. Mais dans ce contexte, il s'insère de manière tellement ironique que ça renforce le drame, loin de le déstabiliser. Son personnage n'enlève en rien de la densité du film; il reste entièrement pris dans l'histoire et dans le film. Il s'insère à la perfection dans cet univers d'apparences, de « réussir sa vie », de tchatche américaine, de fausse romance utopique et niaise.

Au début, la caméra est comme flottante, extrêmement fluide, mais le montage très rapide, et ce dès le générique. C'est ce qui m'a gênée au début, car on a à peine le temps de s'installer dans le film, de situer ces images. Mais c'est que déjà, le film porte son identité; une gêne s'instaure qui inspire quelque chose d'anormal. Quand on entre dans cette maison avec Nick Dunne, l'atmosphère est tout de suite étrange : cette maison est vide. Il ne manque pas seulement sa femme, il manque carrément des meubles, des objets, des souvenirs, il manque tout ce qui pourrait la rendre authentique, ce qui pourrait en faire un couple avec une vie normale. Rien que par le décor, tout est déjà suggéré : les couleurs ne sont ni marron ni beige, juste floues, les meubles sont impeccables et tellement intégrés au décor qu'on ne les voit même pas; les traces de vie ne sont nulle part, tout est propre et rangé, immobile... Il n'y a pas de vie de couple ici, pas même de vie, juste une sorte de non-présence. J'ai lu une citation du chef-opérateur, Jeff Conenweth (fidèle à David Fincher), qui disait: "Notre mission a consisté à trouver le moyen d’auréoler de mystère cette petite ville ordinaire et ses maisons impersonnelles".



Dans le métro, après la séance, je me suis acharnée à essayer de saisir clairement quelle morale on pouvait tirer de ce film. Pas facile, en fait, puisque chaque partie, et même chaque personnage, est guidé par une certaine vision de la justice... parfois contradictoires. 
D'un coté, la justice s'incarne chez le duo de policiers qui, malgré des apparences accablantes, poursuivent leur enquête en respectant la présomption d'innocence. L'enquêtrice refuse d'arrêter Nick Dunne car elle n'a pas de corps ; mais on se rend compte avec cet argument que ce n'est pas tant au nom de la justice qu'elle refuse de l'arrêter, mais parce qu'elle sait que le tribunal ne saura pas juger un tel cas de crime sans corps. La justice est garantie par l'institution et l'autorité ; elle protège des conclusions hâtives du second policier. Mais en vertu de la protection des innocents, on peut penser que la justice est impuissante... Cet aspect de la justice sauve d'abord Nick, mais c'est aussi cela qui le condamne... à sa propre vie.
Car la justice, comme le film, est bloquée par le problème fondamental du « c'est sa parole contre la mienne. » La justice est dépendante de la bonne foi des individus... Mais la société n'apprend pas la bonne fois ni l'honnêteté. 
Au contraire, les médias deviennent la seule forme de jugement, basé sur les images et leur interprétation. Cette justice est rapide, expéditive, basée sur une morale dominante plutôt dogmatique; en un mot: arbitraire, très loin de l'honnêteté idéale. Si je voulais en rajouter, je dirais qu'en plus, ces médias qui agissent et jugent au nom de l'opinion publique ne font que la formater.
Pour revenir au point de vue des personnages, Amy Dunne envisage la vengeance comme une forme de justice. Considérant que Nick a gâché sa vie en l'emmenant loin de New-York, dans le Missouri, elle estime que ce n'est que justice de se venger, par la persécution, la prison et la condamnation à mort. Dans un jugement rapide, on peut considérer d'abord cette rancune comme une juste réaction à une promesse de mariage brisée, un comportement irrespectueux ou malhonnête. Car on n'oublie jamais que Nick, s'il est pris au piège, reste un mari infidèle, lâche, voire ingrat. 
Et ce qui est ironiquement drôle, c'est que, dans la dernière partie du film, c'est Nick qui tient le discours de l'homme trahi, blessé, et à la merci de sa femme. A l'avocat, il dit que sa vie est en jeu... Miroir du discours d'Amy: c'est désormais elle qui gâche la vie de son mari, dans un sadisme si démesuré qu'il apparaît comme profondément injuste.