jeudi 18 février 2016

Le documentaire, ce n'est pas ce que tu sais.

Je sors de la projection du film Homeland: Irak année zéro, d'Abbas Fahdel. Je capte en passant la remarque d'un spectateur (que, s'il le faut, je qualifierai d'âgé) qui accuse avec ardeur le film de "malhonnêteté". Pendant la rencontre avec des intervenants de l'ENS de Lyon, d'autres spectateurs, ayant vécu en Irak ou connaissant la situation, reprochent au film des "manques", des réalités qui auraient dû selon eux se retrouver dans cette fresque du pays. 

Mais, chers spectateurs, le documentaire n'est pas cette objectivité, cette historicité, cette exhaustivité que vous demandez. Ce n'est pas la réalité qui détermine le film, c'est le film qui détermine sa réalité. C'est la réalité du réalisateur, c'est celle qu'il a voulu montrer, exprimer, mettre en lumière et pas seulement en images. Il ne cherche pas à vous montrer tout ce qui existe, il cherche à vous montrer ce qu'il voit. Il voit sa famille, la rue, son pays, son exil, ses disparus, des enfants; il ne voit pas cette division entre chiites et sunnites dont vous parlez, il ne voit pas ceux qui ne veulent pas être filmés que vous suspectez, il n'a pas vu la guerre qui a existé. Ce qui est hors champ l'est pour une raison très simple. Ce n'est pas que ça n'existe pas; c'est que ça n'existe pas pour lui, vers lui, devant lui. Ça existe autrement; par traces, par témoignages, par échos, par l'absence aussi. Ce que vous lui reprochez de ne pas vous montrer, c'est ce qu'il ne voit pas ou ce qu'il refuse de voir. Laissez-le construire son film, son regard, sans lui demander, de votre hauteur de spectateur averti, de vous montrer ce que vous connaissez déjà.

On ne répétera donc jamais assez qu'un documentaire n'est pas objectif, n'est pas exhaustif, n'est pas au service de la réalité. Je voulais que vous sachiez, messieurs dames, à quel point je regrette que l'on y revienne toujours, et à quel point il est important pour le cinéma de laisser inaccomplie cette exigence stérile. Car le documentaire, c'est du cinéma; ce n'est pas la réalité. 



Pour Alain Letoulat.

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