vendredi 23 janvier 2015

The Smell of Us, de Larry Clark

Dans Nymphomaniac, dans La Vie d'Adèle, dans Spring Breakers, la sexualité filmée ne m'a pas gênée; elle ne m'a pas choquée, ni dégoutée, ni gênée. Dans The Smell of Us, non seulement elle a fini par me gêner, mais elle m'a agacée et lassée. Voici pourquoi j'ai l'impression que Larry Clark se fout de notre gueule. 



Dans son ensemble, le film a l'air d'un patchwork de séquences, plus ou moins réussies, plus ou moins fortes, mais qui ne se soutiennent que fragilement les unes les autres. Comme un château de cartes raté, à un étage, ou une partie de mikado mal disposés. Autant que les fils narratifs, les divers personnages, qui tous ont quelque chose d'attirant et de complexe, sont abandonnés en route, sans suite. Que ce soit dû au remaniement spontané du scénario lors du tournage, à la place laissée à l'improvisation, à l'abandon des acteurs, peu importe; le film perd ses fils, qui à peine tissés sont déjà coupés. Pacman finit par être un vulgaire lâche qui poignarde les gens dans le dos. En un sens, Math, lui aussi, est un lâche; même lorsque repose sur lui le climax émotionnel et le potentiel dénouement du récit, il se dérobe, trop déphasé par l'alcool, la drogue et la honte.
Le réalisateur espère faire un film "sur", "dans le milieu de", mais les personnages ne sont même pas aboutis, ni individuellement ni en tant que collectif! JP et le cameraman sont peut-être les deux personnages dont les ficelles sont tirées un peu plus loin; le premier car on finit par entrer dans sa vie privée et ses sentiments sincères; le second parce qu'il n'est que secondaire justement; alter ego facile du réalisateur, voyeur par excellence.

Le film caractérise soit disant la façon dont Internet pervertit cette jeunesse. Apparemment, "le film parle de ça, de la façon dont Internet peut très facilement mettre ces ados en difficulté" (propos de Larry Clark dans un entretien à Quentin Grosset, dans Trois Couleurs). Ce n'est bien que dans une interview que Larry Clark peut évoquer cette intention... Chacun de ces jeunes est indépendant financièrement, et libre de sa pensée autant que de son corps; il n'est pas attiré dans des mailles inextricables; en tout cas, ce n'est pas ce qui nous est montré. En réalité, Internet n'est qu'un outil, il ne nous "met" pas "en difficulté". Oui nous baignons dans un monde pornographique, aux mœurs diverses, paradoxales, immorales selon certains. Nous BAIGNONS. Et on ne se noie pas. On sait nager.

Le film ne "parle" pas, il montre une jeunesse fantasmée et violée. Cette sexualisation outrancière de chaque élément, jusqu'à la serveuse qui fait valser ses coupes de champagne au profit d'un déhanché démesuré, m'a saoulée. Je vois de la fascination et des viols.

Je ne peux pas m'empêcher de penser aux acteurs, amateurs. "Ils ne réalisaient pas à quel point cela allait être difficile et n'étaient pas préparés psychologiquement à tenir ces rôles", nous dit le réalisateur...
Mais, mais, oserai-je dire que c'est ton boulot?! Préparer les acteurs, les diriger, leur permettre de se nourrir du film autant qu'ils le nourrissent, c'est ça le metteur en scène! Ce n'est pas poser un regard lubrique sur des jeunes avec qui tu ne peux pas communiquer, que tu traumatises, que tu pompes, que tu vampirises au nom de ton propre dégout de toi même..!

Les critiques ne cessent de parler d'un film sur la vieillesse, "la peur du déclin", "les corps flétris", un autoportrait du réalisateur en somme. Ce que je vois de cela, moi, c'est ce fantasme juvénile presque pervers, la hantise de la sexualité, l'objectivation du "jeune" comme corps. Mais les "jeunes" ne se résument pas à leur sexualité. L'impudeur, la mise en scène de soi, le porno, la provocation, la prostitution, la banalisation, la prise de risque, tout cela existe; mais tout cela ne constitue pas l'identité d'une génération, ni d'un groupe, ni d'un personnage. Sans parler du langage des skateurs, qui se veut authentique, mais qui n'est lui aussi, qu'un patchwork d'expressions diverses, de styles, de registres, de milieux et de contextes différents. Du contreplaqué.
Et puis, que dire de cette séquence finale... Cliché de violence, de pseudo défoulement adolescent, d'abandon des normes sociales et morales...  La mise en flammes d'une voiture immatriculée 94 me fend le cœur.

Voilà un billet d'humeur acerbe, fidèle au goût étrange que m'a laissé le film. Certes, tout n'est pas à jeter. Mais en fait, j'ai été déçue. N'ayant vu que son deuxième film, Another Day in Paradise, je ne peux adhérer à "la quintessence de tous les films et des thèmes fétiches de Larry Clark". Je me suis laissée charmer par les titres flatteurs des Cahiers du cinéma... et je sors avec l'impression de m'être fait avoir par un vieux lubrique qui a envoyé valser son film au profit d'intentions égocentrées.

Après avoir lu les différents articles des Cahiers, je m'aperçois que ce que ces critiques portent aux nues, c'est justement ce que je reproche au film. L'abandon du scénario comme rejet du normalisme; soit. Le défilé des différents acteurs et personnages comme une "interchangeabilité vertigineuse" pour "révéler l'universalité"; soit. L’idolâtrie des corps comme une esthétisation de corps divins; soit. La reconstruction toute personnelle de Paris et de ses "jeunes" comme une "profonde honnêteté dans ce regard" et parangon de la modernité; soit.
Mais en effet, "ce qui est en jeu avec ce film c'est une idée du cinéma." Mon idée à moi est celle d'un cinéma qui s'adresse à son spectateur, qui l'emporte avec lui, qui l'introduit dans son monde, qui lui ménage une place voire un rôle;  un cinéma qui certes s'affranchit des normes conventionnelles mais pour les transcender sans forcément les mépriser; un cinéma à l'esthétique sensible, ouverte, évolutive; un cinéma qui n'affirme pas "Je suis un bon film, et je vous emmerde."

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